Dans l’article du présent numéro L’Église n’est (décidément) pas une entreprise, Étienne Lhermenault interpelle : « Réduire la mission à une méthode, et le lieu de son exercice à un ratio, satisfait peut-être les stratèges mais trahit les desseins de celui qui équipe et qui envoie. » S’interroger sur l’essence de l’Église, sa nature, sa vocation fondamentale oblige à penser les contours de sa mission, à interroger ce pour quoi elle existe.
En ce sens, deux tendances missiologiques contemporaines bien identifiées au sein du mouvement de l’Église missionnelle méritent d’être questionnées. Non pour les contrer, bien au contraire, mais pour les amener plus loin.
Premièrement l’idée selon laquelle « l’Église est pour le monde », c’est-à-dire toute entière pensée, construite et tournée vers le monde, de la liturgie au discipulat en passant par le programme d’enseignement, ses actions, etc.
Deuxièmement, le développement de la notion de mission intégrale pour définir le rapport de la communauté chrétienne au monde, c’est-à-dire le fait d’intégrer résolument dans la mission de l’Église l’annonce de l’Évangile (évangélisation en contexte) et la nécessité d’un engagement socio-économico-politique de sa part dans le monde présent (transformation du contexte). Si nous pouvons saluer le fait que cet évangile intégral contient en lui-même une vertu dynamique d’unification de la vie chrétienne (ma vie doit correspondre à la foi que je professe par ce qu’elle est, ce qu’elle fait, ce qu’elle dit), il porte également un risque de confusion des sphères et des finalités de l’action chrétienne. Daniel Hillion l’exprime ainsi dans l’article versé à ce volume : « L’éthique n’est pas soluble dans la mission ! » Autrement dit, si un lien certain existe entre notre désir de faire le bien dans le monde et l’annonce de l’Évangile, nous ne pouvons pas réduire ou ordonner trop vite l’un à l’autre. Tout comme il me semble primordial de rappeler que si l’Église existe effectivement pour porter Christ au monde, elle existe d’abord fondamentalement pour Dieu. Elle vit et doit se vivre comme une communauté d’adoration centrée sur Christ, visant à demeurer toujours davantage cachée en lui. Le rappeler n’est pas anodin en termes de spiritualité, de réflexion ecclésiologique et missiologique. Nicolas Farelly le résume avec clarté dans son article La mission par débordement :
« Cette double emphase, la qualité de la vie de la communauté et sa mission, demeurer et aller, ne représente pas tant un équilibre qu’il faudrait entretenir tant bien que mal, que les deux faces d’une même pièce : il est possible de les distinguer, mais jamais de les séparer l’une de l’autre.
[…] Demeurer est premier. Cette face est le fondement de l’autre. Sans elle, la mission est vouée à l’échec. Mais en demeurant, et en demeurant toujours, alors l’Église débordera pour rejoindre le monde. »
Partant de ce souci de contribuer de manière constructive à la réflexion missiologique contemporaine, et de marquer d’abord notre reconnaissance, vive, à l’endroit du mouvement actuel de l’Église missionnelle – nous saluons son souci de sortir l’Église d’un entre-soi coupable ou d’une foi qui manquerait d’incarnation (voir mon édito « Pour une Église missionnelle » dans le numéro 125 des Cahiers) –, cette livraison exceptionnelle des Cahiers de l’École pastorale se veut tout entière consacrée, comme un numéro spécial, à la question de la mission/vocation de l’Église. Nous espérons ainsi contribuer de manière constructive à la réflexion commune et viser à nous rendre, ensemble, toujours davantage centrés et débordants de Dieu autour de nous.
Erwan CLOAREC
SOMMAIRE
Édito
Quelle mission pour l’Église ?
Erwan Cloarec
Articles
Mission et éthique : proposition d’articulation en rapport avec l’action face à la pauvreté
Daniel Hillion
Être, dire, faire : vivre la mission dans un monde créé
Erwan Cloarec
La mission par débordement (Jn 15.1-17)
Nicolas Farelly
L’Église dans tous ses états
L’Église n’est (décidément) pas une entreprise…
Étienne Lhermenault