Avez-vous déjà remarqué que, généralement, les conjoints ne connaissent pas, ou peu, le lieu où l’un ou l’autre travaille, ni les personnes avec qui il travaille ? En rentrant à la maison, après une journée de dur labeur, les époux peuvent néanmoins parler de leur vécu professionnel, en se déchargeant librement, l’un sur l’autre, de leurs fardeaux, des difficultés rencontrées, des joies et des peines liées à leur travail.
Pour un(e) pasteur(e) – marié(e) – la situation est bien différente. Celle-ci est singulière et franchement délicate… Les épouses ou époux de pasteurs vont non seulement à l’Église une ou plusieurs fois par semaine (sur le lieu de « travail » du pasteur) mais il est aussi attendu qu’ils participent, avec les autres membres de l’Église, au ministère de l’Église dans son ensemble, qu’ils prennent part à la vie communautaire et fraternelle. Il est donc attendu qu’ils voient, échangent et vivent des relations approfondies avec les chrétiens de l’assemblée, et donc aussi avec celles et ceux qui évaluent – parfois de façon critique – le ministère pastoral de leur conjoint.
Cette situation est souvent vécue difficilement par le pasteur et son conjoint, qui a du mal, en tant que couple, à se situer vis-à-vis de l’assemblée. Une difficulté spécifique est de savoir quoi et comment partager avec son conjoint. La charge pastorale est souvent lourde et chacun aimerait pouvoir parler librement de certaines difficultés, par exemple relationnelles. C’est, après tout, ce que font la plupart des couples : ils parlent, partagent, se soutiennent… Mais les pasteurs savent l’importance de protéger leur conjoint en ne lui infligeant pas de porter ce qu’ils n’ont pas été appelés à prendre sur eux. Ils savent aussi qu’ils sont tenus au secret, que certaines choses ne doivent tout simplement jamais être partagées. Dans ce contexte, quelles « règles » peuvent-ils mettre en place pour « évacuer » au mieux, de façon saine et constructive, dans l’intimité de leur relation, ce qu’ils ont sur le cœur ? Comment partager, ni trop ni trop peu, cette charge ?
Pour nous aider, le pasteur Zack Eswine propose de distinguer deux catégories « d’évacuations » possibles : les générales et les spécifiques. Ayant trouvé ces distinctions utiles, je les résume dans ce qui suit.
Les évacuations générales :
(1) Il est bon de savoir dire à son conjoint que, si nous nous sentons stressés, distraits ou de mauvaise humeur, cela n’a rien à voir avec lui.
(2) Ensuite, il est tout à fait possible de faire part d’une catégorie générale de difficultés. Par exemple : « Je ne peux pas t’en dire davantage, mais il y a une famille qui passe par un moment difficile, et je m’inquiète » ou « J’ai reçu une critique, et celle-ci me fait mal. »
(3) Finalement, pourquoi ne pas demander conseil, toujours de façon générale : « Nous savons tous deux qu’il ne vaut mieux pas que je partage tous les détails, mais tu es celle (celui) qui me connaît le mieux. Penses-tu à certaines choses qu’il faudrait que je garde en tête et pour lesquelles je devrais prier dans cette situation ? »
Ce type d’échanges entre époux leur permet de rester en lien, d’échanger sur les questions du ministère et du vécu de celui-ci, tout en protégeant les conjoints de situations qu’ils ne sont pas appelés à traiter. Et si certains ont l’impression d’être quelque part malhonnêtes à ne partager que si peu, ils peuvent se souvenir du fait que la Bible parle de la « folie » de trop partager : « Celui qui se retient de parler possède la connaissance ; l’esprit calme est intelligent. » (Proverbes 17.27) ; « L’homme stupide fait étalage de tous ses sentiments ; le sage se retient de montrer les siens » (Proverbes 29.11)…
Les évacuations spécifiques :
(1) Après une réponse à la prière, il est tout à fait possible et sain de pouvoir partager l’œuvre que Dieu a accomplie : « Tu te souviens de cette famille dont je t’avais parlé, celle qui passait par des difficultés ? Je voulais te dire que les choses se sont arrangées, que Dieu a vraiment fait quelque chose de beau. C’est la famille Dupont, et voici ce qui s’est passé », ou « Tu te souviens de cette critique qui m’avait fait si mal ? Eh bien, il n’est pas nécessaire de te dire de qui cela venait, mais je voulais quand même te dire que Dieu m’a aidé à la surmonter et qu’une réconciliation a eu lieu… » Les détails offerts peuvent varier, mais il sera de toute façon possible de se réjouir ensemble et de remercier Dieu.
(2) Parfois, il est nécessaire de « préparer » son conjoint : « Tu te souviens de ces critiques que j’avais reçues ? Ce soir, je pense que celles-ci pourraient très bien être révélées en public dans notre réunion, et je ne voulais pas que tu en sois étonnée. Elles viennent de Bernadette, qui n’est pas d’accord avec la décision du Conseil sur le sujet de l’école du dimanche. Si jamais sa colère se retournait aussi contre toi, sache que tu n’y es pour rien. Prions ensemble pour que nos réactions respectives soient appropriées ce soir. »
Bien d’autres situations spécifiques peuvent, quand c’est approprié bien sûr, être partagées entre époux. L’idée, ici, est que ce type d’échanges (notamment autour du point (2) est essentiel en ce qu’il prépare notre conjoint à faire face à des situations d’Église. D’une certaine manière, les conjoints sont des membres d’Église comme les autres. Mais d’une autre manière, dans le regard des gens, ils sont toujours les conjoints du pasteur ; or, cela peut être très ingrat quand ils sont, par exemple, « éclaboussés » par des situations qu’ils ne peuvent maîtriser et dont ils ne sont en aucun cas responsables…
Sans aucun doute, il n’y a que la prière qui pourra nous faire discerner quel type d’évacuation il sera possible de vivre en couple. Or, cela aussi, il est possible de le vivre et de le partager entre conjoints : quels types de situations vaut-il mieux garder pour soi, et qu’est-il important de dire ?
Les articles qui suivent regorgent d’exemples de situations pastorales. Autant de sujets qui pourront – ou non – être discutés entre époux. Que la lecture de ce numéro vous nourrisse !
Nicolas FARELLY