6 mai 1940 : John Steinbeck reçoit le Prix Pulitzer pour son roman Les Raisins de la colère.
Les possibles réminiscences bibliques dans "Les raisins de la colère" :
Le titre
Le titre de l’œuvre évoque le livre de l’Apocalypse au chapitre 14 :17-20. Elles expriment l’exercice de la justice divine qui doit délivrer le monde de l’oppression du Mal lors du Jugement dernier.
Cette expression des « raisins de la colère » renvoie à une double tradition biblique qui voit dans le fruit de la vigne
- les raisins de l’impiété et de l’injustice. Elle dénonce ceux qui accaparent les biens de la Terre et ne respectent pas la loi divine comme dans Néhémie 13 1. Elle exprime la déception divine de ceux qui sont infidèles à l’alliance comme dans « Le cantique de la vigne » dans Esaïe 5 1-7.
- mais en même temps le raisin foulé au pied désigne le sacrifice rédempteur du Christ qui offre son sang en rémission des péchés. La colère divine est inséparable de son amour pour ses créatures.
Steinbeck rattache ainsi son récit à une espérance séculaire de salut et de libération. Il en fait le cri insupportable des pauvres, des captifs qui demandent la délivrance et veulent obtenir la justice. En ne retenant que la première signification du symbole, il s’éloigne de la tradition du « serviteur souffrant » d’Esaïe pour rejoindre celle de la révolution terrestre. Chez lui, c’est le sang des opprimés qui coule, qui rougit le drapeau de la révolte ; c’est la violence de l’injustice qui pousse inexorablement à l’insurrection.
L’occurrence du chapitre 25 du roman connote cette interprétation : « … et la colère commence à luire dans les yeux de ceux qui ont faim. Dans l’âme des gens, les raisins de la colère se gonflent et mûrissent, annonçant les vendanges prochaines. » (p. 492)
Le patronyme familial
Il est surprenant de trouver dans ce récit un patronyme qui ne soit pas d’origine européenne : Joad. On en trouve la trace dans la Bible : un Joad a été Souverain Sacrificateur sous les règnes d’Ahazia, d’Athalie et de Joas. C’est lui qui apparaît dans la tragédie de Racine, Athalie. Ce nom symbolise plusieurs éléments caractéristiques :
-La résistance passionnée à l’oppression de l’abominable reine Athalie,
-Le garant de l’alliance nationale qu’il établit « Yoyada (Joad) fit un pacte entre L’Eternel, tout le peuple et le roi : on s’engageait à être le peuple de L’Eternel. » (2 Chroniques 23:16).
-Le restaurateur de l’ordre royal.
-Un vieil homme pieux, fidèle et juste.
Ces divers aspects vont définir la famille dans sa totalité ou dans un de ses membres particuliers. La famille est éprise de justice. Man Joad, la matriarche, est un symbole d’alliance, elle s’efforce de garder sa famille unie. Elle a confiance en Dieu et en sa parole, elle ne perd pas la foi au travers des épreuves. Elle est définie comme la « citadelle de sa famille ». Cette expression exprime ut exprimer la force de la Foi, la confiance dans le Dieu de l’Alliance. Man est donc ce signe rassembleur et cet abri contre les duretés du monde. Pa Tom Joad en est le patriarche, il incarne le vieillard juste. Le fils Tom représente l’insoumis, celui qui sonne la révolte.
Il faudrait citer aussi la fille prénommée Rosasharn, contraction de Rose de Saron. Ce toponyme est tiré du Cantique des cantiques et désigne une riche plaine côtière israélienne. Dans la Bible, chez Esaïe il est le symbole de la bénédiction de Dieu. À la fin du roman la jeune femme se distingue par sa douceur et son altruisme, elle semble appartenir à la terre nouvelle.
Le retour de l’enfant prodigue
Steinbeck, tourne en dérision une parabole célèbre des Évangiles, celle du retour de l’enfant prodigue : « Casy suggéra avec une certaine emphase : – Peut-être bien que Tom va tuer le veau gras, comme pour le fils prodigue, dans l’Écriture. » Dans son désir de réconforter Tom, Casy recourt à une référence religieuse ancienne dont on ne sait si elle se veut consolatrice ou ironique. Tom le détrompe aussitôt en alléguant la pingrerie et l’incapacité paternelles à vivre le moment présent. Le lecteur comprend que le modèle évangélique est inapplicable à cette famille fruste d’autant plus que l’échange entre les deux hommes fait suite à l’épisode des goinfreries égoïstes de l’oncle John. Nous baignons dans le refus de toute espérance.
La marche vers la Terre promise
Les paysans du Middle-West trouvent leur terre ingrate aussi rêvent-ils de « s’en aller dans l’Ouest où on se la coule douce », « à manger du raisin et à cueillir des agrumes quand ça [leur] chanterait ». Vouloir échapper à l’asservissement et fantasmer sur la version américaine du « pays où coulent le lait et le miel » font immanquablement penser au livre de l’Exode dans la Bible.
Il faudrait également relever que la famille Joad, au départ de son périple, compte douze membres, le même nombre que les tribus d’Israël. Casy devient le guide spirituel des fermiers, une figure moderne de Moïse envoyé autrefois par Dieu pour libérer les Hébreux de l’esclavage de Pharaon. De même, les Joad, premiers d’entre les fermiers, vont échapper à la main de fer de l’empire bancaire et prendre conscience de leur statut de peuple élu pour l’avènement d’un ordre nouveau.
Comme les Hébreux, ces migrants vont trouver leur terre promise occupée par d’autres populations. Il va falloir qu’ils luttent contre elles pour se faire une place. Tom tue un policier qui maltraitait Casy, il se comporte comme Moïse dans Exode 2 11-12, ce qui l’oblige à fuir comme le prophète biblique. Tout le récit baigne en outre dans un messianisme social.
Ces allusions bibliques font échapper le récit à son naturalisme cru. Le symbolisme, les références à une histoire antérieure sacrée confèrent l’intemporalité, l’universalité au parcours initiatique, au combat de ces Américains exploités et lancés sur les routes de l’exode.
Mais malheureusement, il s’agit en même temps d’une entreprise de démythification. Steinbeck semble nous dire que les références bibliques sont inapplicables à l’époque moderne tant le dénuement scandaleux et l’exploitation éhontée des masses paysannes ont conduit les misérables à un désespoir sans issue.
Source : http://www.etudes-litteraires.com/steinbeck.php