4 février 1921. Eugène Burnand (1850-1921)
Le peintre-graveur franco-suisse Eugène Burnand, est mort à Paris, le 4 février 1921, il y a 101 ans. en son domicile du 106 rue Denfert Rochereau, Paris 14°.
On peut évoquer son œuvre religieuse et son profond attachement à la France.
Né en 1850 à Moudon, dans le canton de Vaud, Eugène Burnand, est admis à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1872 Il s’initie parallèlement à la gravure auprès de Paul Girardet, son futur beau-père.
Il épouse en effet Julia Girardet, également issue d’une famille d’artistes suisses huguenots. Il prend sa nombreuse famille comme modèle (ils ont huit enfants). Son épouse, restant son modèle privilégié. I
Ses peintures sont primées au Salon et aux expositions universelles ; ses gravures publiées dans l’Illustration. Il est promu chevalier puis officier de la Légion d’Honneur, membre correspondant de l’Institut en 1911.
Burnand partage sa vie entre la maison vaudoise familiale de Moudon, la Provence – Marseille, la Camargue, l’Hérault, et son atelier parisien de la rue d’Assas.
Son ancrage à la France, Eugène Burnand le doit sans doute beaucoup à ses racines huguenotes maternelles( Sa mère, née Henriette Folz descendait de Jean Johannot, réfugié huguenot originaire d’Annonay. Une de ses sœurs avait épousé, un Leenhardt. Elle sera la mère du peintre Max Leenhardt avec lequel Eugène est particulièrement lié.
Sa foi protestante lui inspire une œuvre religieuse très personnelle, fidèle au texte biblique, en réaction contre l’imagerie conventionnelle ou enfantine :
« Je suis convaincu que l’heure est venue de remplacer les créations plus ou moins conventionnelles, parfois enfantines, souvent franchement inacceptables des anciens illustrateurs, par une reconstitution absolument fidèle, historique et scientifique de notre grand passé religieux. »).
De grands tableaux inspirés de la Bible, puis les gravures renouvellent profondément l’iconographie protestante.
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-Tableau "Les Disciples Pierre et Jean au sépulcre", acquis par l’Etat au salon de 1898, maintenant au Musée d’Orsay,
Sur un fond de collines rocheuses dont le ciel reprend les tonalités en plus clair, deux personnages, un jeune homme, mains serrées devant le col de son vêtement blanc, et un homme plus âgé, barbu, une main retenant sa cape sombre et l’autre semblant lancer un geste d’alerte, se hâtent vers un but inconnu. Le rapport entre la scène évoquée et le passage biblique auquel elle renvoie, Jean 20. 3‑4a : « Pierre sortit, ainsi que l’autre disciple, et ils allèrent au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre… ».
Coopération et émulation : le tableau montre les deux aspects de cette course. Les deux personnages appartiennent à une galerie de portraits dont le peintre est familier :
-son fils Franz d’une part — voir « Portrait du jeune B. » (1896) —,
-et le jeune homme nommé « Plein d’espoir » dans un projet d’illustration de 1897. Ce même projet montre aussi un géant barbu aux yeux exorbités nommé « Désespoir ». Les deux personnages, le jeune et le vieux, se retrouvent encore ensemble dans une lithographie de 1907, une affiche pour la santé publique de la Croix bleue, intitulée « L’alcool tue « .
Le protestant Burnand alignent les personnages sur un plan horizontal défait par là-même la propension catholique à accorder à la figure pétrinienne la primauté pontificale.
Burnand oriente la course vers la gauche — à contresens du mouvement de l’écriture (en Occident) —, contrecourant qui renforce le sentiment d’effort face à quelque adversité.
Mais les deux figures se détachent grandeur nature devant un paysage capté dans sa lumière matinale. Le texte de Marc précise d'ailleurs : « De grand matin, premier jour de la semaine, comme le soleil se lève… » (Marc 16. 3). Quand un auteur comme l'évangéliste Marc semble compter ses mots pour relater un événement –tant il est concis-, une telle redondance est impressionnante. Trois expressions pour signaler juste une heure de la journée ! Mais en fait, Marc indique qu’après les ténèbres, le soir, la nuit, la mort, voilà enfin un vrai nouveau jour qui sonne comme un nouveau commencement, tout illuminé d’espoir. Et effectivement les deux disciples sont saisis à mi-corps, tendus vers une vision qui dépasse le cadre de la toile, mais qui se lit dans leurs physionomies, jeune et vieille, comme le reflet du miracle de cette aube nouvelle :
« Je me lève à l’aube afin d’étudier dans l’oeil brillant de mon modèle le reflet ardent du soleil qui pointe à l’horizon », a précisé Burnand.
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-Les Paraboles éditées par Berger-Levrault en 1908: "La perle de grand prix" :
Réagissant contre le dépouillement traditionnel des temples, il réalise en 1911 les cartons de vitraux colorés du temple d’Herzogenbuchsee, sur le thème du Sermon sur la montagne.
Artiste, son fils David Arnold Burnand (1888-1975) marche sur les traces de son père. L’œuvre de David se situera souvent dans le prolongement de l’œuvre de son père ; entre autres par l’adaptation en vitrail de neuf gravures des Paraboles pour Temple-mémorial de Château-Thierry, inauguré en 1924 : le Bon Samaritain, la Maison sur le Roc, le Fils prodigue, le Cep et les sarments, le Figuier stérile, les Talents, le Serviteur impitoyable.
David Burnand, illustre aussi le chœur de la Chapelle Taitbout à Paris (Chapelle Taitbout, 42, rue de Provence, Paris),en réutilisant deux tableaux du "Fils prodigue" d’après les croquis de son père sans doute, sur le thème évangélique par excellence, la parabole intitulée « Le Fils prodigue ». la peinture raconte l'errance d'un fils loin de son père, qui finit par la repentance et la réconciliation -figure de la conversion.
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La production d'Eugène Burnand révèle des facettes moins connues, avec des gravures publiées dans L’Illustration témoins sa proximité avec le mouvement du Christianisme social mené par les pasteurs Elie Gounelle, Wilfred Monod, et Henri Nick, attentifs aux problèmes de la pauvreté et de la vie ouvrière.
Une maison de Monkay. Gravure de Burnand pour illustrer le récit " Sur les frontières du Tonkin".
Il illustra aussi la Provence de Frédéric Mistral (Mireille) et d’Alphonse Daudet (Contes choisis), le Berry de George Sand (François le Champi).
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"Eugène Burnand, l'homme aux soldats"
Une dernière facette de l'oeuvre d'Eugène Burnand c'est les portraits qu'il a réalisé sur les soldats de la guerre 14-18 : 100 portraits de combattants de toutes les nations alliées et leurs coloniaux. Grandeur nature, particulièrement vivants et humains, les originaux de ces portraits au pastel, sont conservés au musée de la Légion d’honneur.
-Le musée de la Légion d’honneur a le dépôt de ses peintures de soldats de la Grand Guerre. Dans ses Soldats alliés, croqués pendant la Guerre de 14, il cherche à la manière de Lavater à caractériser des physionomies, ses dessins aux crayons de couleur rehaussés au pastel dur doivent surtout se lire comme une rébellion contre le diktat de la photographie. Car Burnand s'est vu soupçonné de composer ses œuvres à partir de clichés. Aussi n'aura-t-il de cesse de dépasser cette technique pour prouver que la peinture ajoute ce «supplément d'âme» que n'arrive guère à saisir une photographie.
A ce propos voici un article de François Sureau (La Croix 28 novembre 2017) : "Eugène Burnand, l'homme aux soldats"
Il fut donc assez incompris. Les critiques non religieux ne voyaient guère de beauté dans son art. Les critiques religieux souffraient de le voir mis au service du Jésus de l’histoire, peignant le rabbi de Nazareth tel qu’il fut, et non un visage d’icône. On l’accusa de vouloir simplement reproduire, et ce mot de « reproduction » lui sera compté à charge par d’autres parmi ses contemporains, qui lui reprocheront de vouloir faire survivre une peinture descriptive à l’heure de la photographie.
À ce reproche, les cent portraits des soldats de la Grande Guerre, qui sont exposés ces jours-ci au Musée de la Légion d’honneur, apportent la plus éloquente des réponses. Sans doute a-t-il voulu montrer ce que la photo ne pourrait jamais saisir, une sorte d’au-delà des traits qu’un cliché ne révélerait pas, la profondeur d’une existence individuelle, entrevue malgré l’uniforme. C’est une manifestation de foi dans la peinture. Il avait passé des journées au Louvre, à prendre des notes, et l’on voit avec émotion, dans la première salle, certains de ses carnets. Ils ne montrent ni dédain des formes ni mépris de la beauté. Burnand n’a jamais fui dans un cloître, brûlé ses pinceaux, détesté son propre regard sur le monde déchu. Il tenait que la conscience du salut peut faire naître un art réellement nouveau, attentif au moment mystérieux où ce que les Évangiles nomment le Royaume se rend présent au milieu de nous.
Ces cent portraits sont aussi, bien sûr, le résultat d’une commande patriotique, donnée par le maréchal Foch. On y voit surtout un bouleversant hommage aux soldats, dont il avait sûrement remarqué que l’Évangile, malgré les rôles tragiques qu’ils y jouent parfois, ne dit jamais de mal, au contraire de ce qu’il dit des prêtres et des juges. La présentation de ces pastels est simplement magnifique. Ils sont rangés à touche-touche, et un dispositif technique permet de regarder un petit film sur la vie de chaque catégorie particulière de soldat. Comme ils appartiennent à tous les mondes, chasseurs alpins cévenols, fantassins bourguignons, légionnaires arménien, vaudois ou des Grisons, baloutches, parsis, maliens (on disait soudanais), russes, serbes, malgaches, sénégalais, tonkinois, indiens de l’Assam, chinois, irlandais, américains de l’Indiana et de New York, c’est un prodigieux voyage dans la grandeur et la misère des hommes. Après avoir appris du film que le turban blanc des spahis est un linceul roulé, on ne regarde plus de la même façon le cavalier Mohamed Osman, d’Oran, ou plus exactement c’est son regard qui vous accompagne jusqu’au départ.
Ce fut la dernière œuvre de Burnand. Il avait vécu avec ses modèles, les invitant chez lui, les décrivant pour ses proches avec une amitié teintée parfois du racisme de l’époque, dans des portraits savoureux, le Canaque« qui chante des cantiques protestants, en mangeant des cerises dans notre chambre à coucher de Marseille », le Canadien « petit-fils d’Indienne, plus fier de son sang mêlé que ne le serait un nouveau riche de quelques onces de sang bleu », les Américains rangés en ligne par leur général pour être choisis par le peintre et prenant peur que cet inconnu ne fût un juge d’instruction, le marin breton qui croit aux fantômes et lui écrit : « Je pense souvent aux bons moments que j’ai passés près de vous, quand vous faisiez ma biographie. »Burnand est mort rue Pergolèse, le 4 février 1921, après avoir travaillé rue d’Assas – où de nombreuses toiles furent détruites dans un incendie, ce qui l’empêcha d’ajouter à ses portraits de militaires celui du maréchal Foch. Ses simples soldats resteront entre eux pour l’éternité".
Son fils, Marcel, dirige à Paris l’imprimerie Crété et mènera à bien en 1922, l’édition posthume des Portraits des Alliés, accompagnée des textes de son cousin l’archiviste Robert Burnand.