Le 3 février 1865, le peintre romantique et peintre d’histoire, Eugène Devéria (1805-1865) meurt à Pau.
Il avait fait son apprentissage auprès de son frère aîné Achille (1800-1857) ; il fut l’enfant chéri de la génération romantique, devenu célèbre à vingt-deux ans en exposant "La Naissance d’Henri IV" (musée du Louvre) au Salon de 1827 où cette immense toile fit sensation et remporta tous les suffrages.
Théophile Gautier, exprime encore en 1844 l’enthousiasme qui l’avait bouleversé en 1827. Il estimait que La Naissance d’Henri IV était
« un chef-d’œuvre de l’école française, une toile à mettre sans inquiétude à côté des plus belles fresques vénitiennes… »
On le considéra l’égal de Delacroix et de Paul Delaroche. Des commandes importantes lui furent attribuées pour les nouvelles salles du Louvre ; il fut ensuite un des peintres préférés du roi Louis-Philippe et se vit gratifié de nombreuses commandes pour la nouvelle décoration du château de Versailles.
Voilà ce qu’on pouvait lire dans le journal La Presse sur le Salon de 1838 :
« M. Eugène Devéria s'est montré habile et gracieux coloriste dans son tableau de la Fuite en Égypte. Mais pourquoi avoir compliqué l'intérêt du sujet par une innovation qui lui enlève sa simplicité sainte et traditionnelle? Il y a bien aussi de l'afféterie dans ces figures d'anges aux formes sveltes, aux doux yeux, qui ressemblent à de jolies Anglaises au dos desquelles on aurait attaché de grandes ailes. »
Cet article marquait le point ultime de la désaffection de la critique à l’égard du peintre. Depuis sa "Naissance d’Henri IV", et malgré les commandes du roi pour le musée de Versailles, rien n’allait plus.
Eugène Devéria était parti brusquement de Paris en 1838 à la recherche de Dieu. Il était arrivé en Avignon dans un état de surmenage et s’était mis à travailler aux décorations de la cathédrale d’Avignon qu’on avait bien voulu lui demander ! Le froid et l’humidité de la cathédrale ébranlèrent sa santé.
Les troubles de son corps n’étaient rien comparés à ceux de son âme. Une véritable quête spirituelle s’était emparée de lui.
C’est tout d’abord par la bouche de sa petite fille Maria qu’Eugène sembla avoir entendu pour la première fois prononcer le nom de Dieu. Sa vie agitée jusque-là ne lui avait pas laissé le temps de songer aux choses éternelles.
En Avignon il fit la connaissance du pasteur Émilien Frossard, qui visitait la cathédrale en compagnie de son frère. Les deux hommes approchèrent d’un échafaudage quand, soudain, des imprécations abominables et fort déplacées en ce lieu atteignirent leurs oreilles. Sans doute, pensèrent-ils, est-ce un ouvrier perdu de boisson, qui n’avait ni le respect de Dieu ni le respect de lui-même !
« Toute conversion est un miracle, souffla Émilien Frossard à son frère, mais si jamais celui-ci se convertit, ce sera un double miracle. »
Les promeneurs ne se doutaient pas que le miracle allait se produire et que l’auteur de ces exclamations inconsidérées était un homme à la recherche de Dieu. Le pasteur pouvait-il encore moins se douter qu’il deviendrait bientôt, à Pau, l’ami de ce blasphémateur ? Dieu s’il fait bien les choses, il les fait parfois curieusement.
Une maladie de poitrine s’était déclarée, qui mit en danger les jours du peintre. Pour se soigner, il fit une cure aux Eaux-Bonnes ; l’effet bénéfique qui en résulta le conduisit à choisir de mener une vie retirée des plaisirs parisiens et à s’établir à Pau en 1841. Le peintre recouvrit une santé chancelante mais il allait aussi découvrir la religion. À Pau, un ami lui conseilla la lecture de la Bible.
N’avait-il pas donc jamais songé à ce livre ? La Bible ne figurait pas parmi les nombreux ouvrages qu’il avait lus. Eugène Devéria suivit avec passion les prédications du pasteur Buscarlet. Et finalement, en 1843, son cheminement spirituel aboutit à une profonde conversion. La religion devient alors, autant que la peinture, le pivot de son existence.
Il resta fidèle aux choix esthétiques de sa jeunesse, à une peinture très colorée proche de celle de Véronèse et de Rubens ainsi qu’en témoignent "La mort de Jane Seymour" et "Christophe Colomb". Outre ces ambitieux tableaux d’histoire, il peignit maintes scènes de genre dans lesquelles le folklorisme pyrénéen fit suite à l’observation de la vie parisienne. Il fut également un portraitiste prolixe.
On peut suivre l’inflexion essentielle que représenta cette révolution spirituelle dans son tableau, "La Mort de Calvin", (vers 1850, Musée Jean Calvin, Noyon).
Dès 1841, Eugène Devéria s'engagea tout naturellement au sein de la Communauté protestante qui l’avait accueilli à Pau. Il y pratiquait sa nouvelle foi, il parlait (très fort) dans les cultes, réunions, assemblées ; il enseignait à l’Ecole du Dimanche, assumant ainsi le rôle d’assesseur auprès d’Alphonse Cadier, nommé pasteur titulaire du troupeau réformé évangélique en 1863.
Animé d’un zèle infatigable, il retourna plusieurs saisons de suite dans cette ville d’eau, passant la plus grande partie de son temps à méditer sur les Écritures et à témoigner aux malades. Il faisait également partager à tous ses correspondants ses joies. Il tenta également d’amener son entourage à sa nouvelle foi, exaspérant une partie de sa famille, Achille le premier, et ses anciens amis dont il se coupa progressivement.
Eugène Devéria mourut brutalement à Pau le 3 février 1865. Sur son acte d’enterrement, le pasteur Cadier écrira le 4 février 1865 :
« C’était une des colonnes et la gloire de notre Église, le Chrétien modèle, l’ami des enfants, des pauvres, des malades… »