28 août 1900. W ilhem Tilman Grommé : un protestant à Maisons-Laffitte
Wilhelm Tilman Grommé (1836-1900) est considéré en Finlande comme un généreux donateur. Il avait affecté sa collection d’art, conservée en France, au musée de Viipuri. En Finlande, l’intérêt pour Grommé s’inscrit dans l’immédiat après-guerre, alors que la perte de Viipuri [au profit de la Russie] est encore fraîche et désolante pour le pays. La préservation partielle de la collection Grommé s’inscrit dans une nostalgie profonde et un inventaire de ce qui a pu être sauvé. La valeur de la collection et de son donateur est mesurée à l’aune de ce qui a été perdu. En France, le point de vue est différent : le départ des collections contenues dans le château de Maisons-Laffite est soulignée..
Grommé était protestant réformé. Il descendait d’une famille de la petite noblesse française contrainte à s’expatrier lors de la révocation de l’édit de Nantes, et ayant trouvé refuge en Hollande et en Allemagne.
Au 18e siècle, Dietrich Wilhelm Grommé (1731-1803) s’installe à Brême. Ses deux fils, Georg Wilhelm Grommé (1760-1841) et Conrad Diedrich Grommé (1765-1832), ainsi que le fils de sa femme, Johann Friedrich Hackman (1755-1807), établissent des lignées de marchands allemands de la Baltique aux intérêts commerciaux et familiaux étroitement liés.
Le fils de Conrad et père de Tilman Grommé (1795- 1869), se serait engagé dans l’armée napoléonienne et aurait participé à la campagne de Russie en 1812. Fort de ce premier contact avec la Russie, il s’installe vers 1830 à Saint-Pétersbourg, et se marie dans une famille allemande avec Amalie Marie Heyde (1810-1884). Cette installation à Saint-Pétersbourg explique la nationalité russe de Wilhelm Tilman Grommé.
Wilhelm Tilman Grommé grandit donc à Saint-Pétersbourg, en compagnie de cousins de son âge. Les liens avec les cousins de Brême demeurent étroits. Dans la ville finlandaise de Viipuri, où ses parents possèdent la villa d’été Onnela, il retrouve ses cousins Hackman qui y sont installés depuis deux générations.
Cette grande famille allemande protestante s’illustre dans le domaine du commerce et des finances. Ainsi le père de notre donateur, Tilman Grommé, obtient les droits de bourgeoisie de la Ligue des marchands de Viipuri, qui lui permettent d’effectuer des transactions dans l’Est de la Finlande – il devient ainsi citoyen finlandais.
Une carrière artisitique
Dénué d’intérêt pour le commerce, Grommé choisit une carrière artistique. Il étudie la peinture à l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg de 1854 à 1867. L’Académie des beaux-arts est située sur le quai de l’île Vassilievski. Ce quartier est habité par les ressortissants allemands depuis l’époque de Pierre le Grand.
Non loin, sur la Perspective Bolshoy, se trouve l’église luthérienne allemande de Sainte-Catherine, paroisse des Grommé, tandis que plus loin sur le quai, à l’angle de la Seizième ligne, se trouve leur hôtel particulier. Outre la concentration géographique de ce quartier allemand, nombre d’enseignants comme d’élèves de l’Académie des beaux-arts sont des Allemands de la Baltique.
Ainsi Wilhelm Tilman Grommé, dit Vassili Tilmanovitch Grommé, aurait eu pour professeur le peintre de bataille Gottfried Willewalde (1818- 1903). L’un de ses camarades, avec lequel il entretient des liens amicaux sa vie durant, est un Allemand de Lettonie, Karl Jacob Wilhelm Huhn (1830-1877).
Son installation à Paris fait suite au décès de son père en 1869, qui met une fortune à sa disposition.
Retrouvant ses origines françaises, Guillaume Grommé s’installe alors au 9, rue Duperré, au pied de la butte Montmartre. A Paris, Guillaume Grommé poursuit une carrière artistique et expose à Paris, Londres, Vienne et Saint-Pétersbourg jusqu’en 1877 8 . Il entreprend également de grands voyages, qui le conduisent jusqu’en Orient. Ces voyages s’inscrivent en partie dans sa formation d’artiste, visant à renouveler motifs et techniques picturales.
L’Espagnolisme fait figure de mise en bouche pour les grands voyages entrepris par Grommé à la fin du 19e siècle. On perçoit l’influence de la peinture espagnole dans son « Repas de moines », fortement évocateur de José de Ribera. Ce premier envoi au Salon de Paris de 1869 remporte un certain succès.
Néanmoins, ce sont ses portraits qui témoignent le plus remarquablement de sa parfaite fusion de l’art des maîtres hollandais et espagnols, opérée de façon caractéristique dans les ateliers parisiens au cours des années 1870.
La collection de reproductions d’œuvres de musées, vraisemblablement acquise au fur et à mesure de ses pérégrinations, fait d’ailleurs la part belle à la peinture espagnole, flamande, et à la peinture d’histoire. Une similitude de goût et de parcours se retrouve chez ses amis peintres finlandais. Reconnus comme principaux représentants de l’Espagnolisme finlandais, Adolf von Becker effectue le voyage en Espagne dès 1863 et Albert Edelfelt en 1881 ; Gunnar Berndtson se rend quant à lui en Egypte en 1882-1883.
Au gré de ses voyages, Grommé réunit une collection de photographies, d’objets, et de costumes orientauxtenant de l’objet de bazar, destinés à servir d’accessoires à de futures compositions mais aussi d’aide-mémoire à ses voyages.
Un château encombrant
En 1877, de retour de ses lointains voyages, Grommé fait l’acquisition du château de Maisons-Laffitte. Chef-d’œuvre de l’architecte François Mansart au 17e siècle, propriété du banquier Jacques Laffitte au début du 19e siècle – le château constitue un décor historique remarquable.
Le peintre d’histoire en est parfaitement conscient lorsqu’il ouvre le château à l’intention des premiers amateurs de patrimoine. Grommé souhaite réunir une colonie d’artistes à Maisons-Laffitte. Pendant l’été 1882, il invite son ami Adolf von Becker à séjourner au château. Deux anciens élèves de Becker, Albert Edelfelt et Gunnar Berndtson, effectuent alors plusieurs séjours au château de Maisons. Adolf von Becker comme Gunnar Berndtson font le meilleur usage de leurs séjours, utilisant le château et son parc comme cadre à plusieurs tableaux et faisant venir un modèle parisien à cette intention. Grommé profite de la présence de ses visiteurs pour faire photographier le château de Maisons par Louis-Amédée Mante (1826-1913). Albert Edelfelt indique dans sa correspondance vouloir rendre visite à Vassili Verestchagin (1842-1904), un artiste russe, ancien camarade de l’atelier de Jean-Léon Gérôme à l’Ecole des Beaux-Arts, installé lui aussi à Maisons-Laffitte.
Un important article du Figaro consacré à « Vereschagin. Le peintre des batailles russes » par Jules Clarétie en décembre 1879 fait mention de cette installation à Maisons-Laffitte, qui ne saurait être sans rapport avec Grommé.
Le château de Maisons s’avère pourtant une lourde charge à entretenir, et la fortune de Grommé y passe toute entière. A son décès, le 28.8.1900, ses dettes sont nombreuses. Le testament de Wilhelm Tilman Grommé, rédigé en allemand et déposé à Saint-Pétersbourg le 14 août 1899, ne parvient à Maisons-Laffitte en traduction française que le 10 janvier 1901. Or, la mort de Grommé a laissé les jardiniers et gardiens employés au château dans l’embarras, sans interlocuteurs auprès desquels réclamer leurs gages et appointements. Saisi, le tribunal de Versailles ordonne la vente du mobilier du château afin de recouvrir les créances. Le patrimoine historique du château de Maisons – constitué pour l’essentiel au lendemain de la Révolution française – est liquidé, laissant un château vide. Grommé avait pourtant pris de nombreuses dispositions à l’intention de ses employés, de sa famille et de la paroisse luthérienne de Sainte-Catherine à Saint-Pétersbourg, affectant seule sa collection, conservée dans son atelier parisien, au musée de Viipuri.