24 mai 1870. Alice Seeley Harris le cauchemar de Léopold II
Alice Seeley Harris (1870-1970) est née le 24 mai 1870 à Malmesbury, dans le sud-ouest de l’Angleterre, et elle y est décédée le 24 novembre 1970. C’est une missionnaire baptiste et une photographe britannique.
Elle est une des premières à avoir utilisé un appareil photo pour lutter en faveur des droits humains, dénonçant ainsi les atrocités commises au Congo, sous l'autorité du roi des Belges, Léopold II.
Une des toutes première lanceuses d’alerte de l'histoire contemporaine, utilisant la force des images.
Missionnaire photographe
Née en 1870 à Alice Seeley rencontre son futur mari en 1894. Elle est missionnaire en 1897 et l'épouse juste avant qu'ils partent ensemble s'installer dans ce qui est appelé au Congo belge en mai 1898. Le couple est affecté dans le nord-ouest de ce pays. Pendant son séjour, elle enseigne aux enfants en tant qu’institutrice, mais elle développe surtout une activité de photographe. Elle est armée d’une Bible et d’un Brownie Kodak « Les Brownie sont une série d’appareils photo simples et bon marché fabriqués par Kodak de 1900 à 1967. Le premier modèle, lancé en février 1900, était constitué d’un boîtier en carton et d’un objectif à ménisque. Commercialisé au prix de un dollar, il s’adressait à tout un chacun et, de fait, devint très populaire. »
Elle veut documenter les mutilations que les agents et les soldats du roi des Belges, infligent aux Congolais. Le souverain belge, en effet, exploite alors la population locale à la récolte de l’hévea, afin de profiter de la demande croissante en caoutchouc à la suite de l’invention des pneumatiques (1887). Les méthodes de coercition employées par les Belges comprennent le fouet, la prise d’otages, le viol, l’assassinat, l’incendie de cultures et de villages entiers.
Femme horrifiée (vers 1900-1915).
L'une de ses photographies les plus connues et les plus impressionnantes est celle des mains coupées de Nsala dans le district de Nsongo, prise en 1904. Deux hommes du village de Wala, qui avait été attaqué par des gardes de la compagnie ABI, étaient arrivés à la mission où vivaient Alice et son mari. L’un d’eux, Nsala, tenait à la main un petit paquet de feuilles qui enveloppaient les mains et les pieds coupés de sa fille et de son épouse, mutilées et tuées par les gardes de l’ABIR. Horrifiée, Alice avait photographié l’homme assis devant ces restes sur la véranda des Harris. Ses photographies sont publiées dans le magazine de la mission protestante, puis plus largement dans la presse. Elles contribuent à mettre en lumière les violations des Droits de l’homme sous le régime du roi des Belges.
Comme le Royaume-Uni est un des garants des accords de la conférence de Berlin, le Parlement de Westminster est inondé de lettres sommant les députés de mettre un point final à cette ignominie. Le scandale est si énorme que le Parlement belge n’a d’autre solution que de forcer, non sans mal, le roi à céder sa colonie à la Belgique, qui en assure l’administration à partir de 1908.
En début d'année 1906, Alice Seeley Harris et son mari entament une tournée de conférences au Royaume-Uni et aux États-Unis, projetant les images réalisées à la lanterne magique pour leurs auditoires, secouant les opinions et remettant en cause les idées sur les bienfaits de la colonisation.
Le gouvernement de Sa Majesté n’a bientôt plus d’autre choix que de confier une mission d’enquête à Roger Casement, le consul du Royaume-Uni dans l’État indépendant du Congo. Véritable catalogue d’atrocités, le rapport du diplomate confirme point par point les témoignages des missionnaires protestants. Elle meurt, centenaire en novembre 1970 à Guildford. Son mari, John Harris, est mort trente ans plus tôt. Quant à ses photos, elles sont conservées au siège de l’Association contre l’Esclavage, à Londres, dans une petite boîte rangée au fond d’une banale armoire métallique. Un écrin bien modeste pour des documents qui ont chassé du Congo celui qui y régnait en tyran.
A Bruxelles, le musée « Africa Museum » de Tervuren
Pendant plus d’un siècle le Musée Royal de l’Afrique centrale, créé par Léopold II, en lisière de Bruxelles a été la vitrine de la colonisation belge du Congo. Il a réouvert en 2018, « complètement rénové ».
« Qui peut mesurer l’ampleur des atrocités de cette colonisation dans ce nouveau musée ? ». Christophe Boltanski dans son livre « King Kasaï » (Stock) y voit une « opération de blanchiment ». Dans la salle dédiée à l’histoire de cette colonisation, juste à côté de la « salle des crocodiles » (aveu subliminal), les pièces à conviction des crimes, notamment les photos des Africains mutilés prises, au début du 20e siècle par la missionnaire protestante Alice Seeley Harris « sont là sans y être, nichées sur un écran tactile, une réalité virtuelle à la fois disponible et cachée ». observe l’écrivain.
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-Elsa Longueville et Karim El Hadj, « Comment les mains coupées du Congo ont secoué l’Europe coloniale », Le Monde, 25 avril 2021 (lire en ligne [archive])
-"Les fantômes du musée de Tervuren", Sabine Gignoux, La Croix, 2 mars 2023, p 20.
-King Kasaï, de Christophe Boltanski, Stock, collection « Ma nuit au musée ».