Issu d’un milieu modeste, le Suisse Charles Gleyre 1806-1874)débute sa formation de peintre à Lyon, au début des années 1820, puis à Paris, où il se partage entre l’Ecole des beaux-arts et l’atelier de Louis Hersent (1777-1860) à partir de 1825.
A un voyage à Rome et en Orient au début des années 1830, succèdent des années incertaines, puis l’immense succès du « Soir ou les illusions perdues » (Paris, musée du Louvre), inspiré d’une vision de l’artiste en Egypte en 1835 ; si la facture de l’œuvre demeure académique, l’imagination romantique déployée par Gleyre séduit le public et les critiques.
Il s’installe à Paris et deviendra, en quelques années, à l’âge de 37 ans, professeur à l’École des beaux-arts. Il a, dit-on, formé 600 peintres, dont Gérôme, Monet, Bazille, Renoir, Henri Zuber et les futurs impressionnistes que seront Renoir, Sisley et Bazille.
C’est un homme pleinement engagé dans le mouvement romantique de son temps. On y fait la découverte passionnée de l’expression libre de ses états d’âme. On est successivement et en même temps enthousiaste et désolé, amoureux et déçu. On laisse libre cours à des rêves fantastiques, morbides ou magnifiques. On s’ouvre à des mondes surnaturels, à l'inspiration divine…
Anticlérical mais lecteur assidu de la Bible, érudit et désenchanté, il est toujours un peu en porte-à-faux par rapport aux écoles et aux conventions.
Le major Davel, 1848-1850
Charles Gleyre n’oublie pas qu’il est suisse et son pays pense à lui. Le canton de Vaud lui commande une toile commémorative de la mort d’un de ses héros de la liberté.
Le major Abraham Davel (1670-1723), fils de pasteur, officier dans l’armée suisse, avait cherché en 1723 à provoquer une révolte à Lausanne contre l’autorité centralisatrice de Berne. Entré à Lausanne à la tête de quelque 600 hommes, Davel, qui se sent investi d’une mission divine, tente de provoquer un soulèvement contre les Bernois. La compromission des représentants de la ville avec le pouvoir en place fait échouer le projet. Le major est arrêté, jugé et il sera décapité le 24 avril 1723 sur la plage de Vidy.
Le peintre choisit de représenter le major à l’heure de son exécution. Dans un dernier discours, il déclare que c’est avec joie qu’il meurt pour la liberté, prononçant une phrase demeurée célèbre : «C'est ici le plus beau jour de ma vie».
Aucune tradition iconographique n’existant, Gleyre entreprend un vaste travail de documentation, aidé par l’historien Juste Olivier. Il multiple les études préparatoires au crayon et les esquisses peintes.
Au final, il choisit de montrer Davel sur l’estrade, entouré des pasteurs, du bourreau et de son assistant. Au premier plan deux soldats, en arrière-fonds le peuple vaudois déployé devant le paysage lémanique, figé dans sa stupéfaction. Le geste d’allocution, bras levé, renvoie aussi bien au héros de l’Antiquité, qu’au Christ prêchant.
Le tableau, achevé à l'automne 1850, connaîtra à Lausanne un succès considérable.
Emblème de la peinture d’histoire suisse, il est détruit dans la nuit du 24 août 1980 par un incendiaire. Il n’en reste aujourd’hui qu’un fragment, le soldat de droite, se voilant la face.
Le Déluge, 1856
Cette scène étrange qui ne correspond à aucun passage biblique, représente le moment où le Déluge ayant cessé, deux anges ont un vol de reconnaissance au-dessus de la terre et y découvrent une première pousse verte signifiant la vie qui commence à renaître. Dans le récit de la Genèse c'est une colombe, envoyée par Noé, qui lui rapporte dans son bec une feuille d'olivier.
La Séparation des Apôtres 1845, musée Girodet de Montargis
Entreprise immédiatement après Le Soir, La Séparation des Apôtres est présentée au Salon de 1845. Les douze apôtres (Matthias a remplacé Judas) sont réunis au pied de la Croix, prêts à se quitter pour aller répandre la parole du Christ. Bien que le livret du Salon cite les Actes des apôtres comme source de la scène, l’épisode représenté est une invention de l’artiste.
L’esprit profondément religieux de Gleyre a placé la parole (celle du Christ, mais aussi celle des apôtres) au centre de l’œuvre, choix révélateur de l’origine protestante de l’artiste.
Dans le même esprit, Gleyre, par les expressions des visages et la théâtralité des gestes, privilégie l’humanité des Apôtres aux dépens de leur caractère sacré, réduit à la plus simple expression, celle d’auréoles fines au point d’être presque transparentes.
Lors de sa présentation, La Séparation des Apôtres parut exemplaire aux défenseurs d’une peinture religieuse idéale. Mais le choix d’un sujet religieux par Gleyre trahit moins l’engagement personnel de l’artiste qu’une tentative de séduction, à une époque où le Salon fait une place d’honneur à la peinture religieuse, et où Gleyre se doit de montrer ses talents en matière de grande peinture.