Le pasteur Richard Wurmbrand (1909-2001) était un pasteur luthérien qui passa 14 années de sa vie emprisonné et torturé par le régime communiste dans son pays natal de Roumanie. Le pasteur Wurmbrand a été appelé "la Voix de l’Église persécutée". Ses livres sont des best-sellers dans plus de 50 langues. il meurt le 17 février 2001.
Extrait de "Mes prisons avec Dieu", Casterman, Paris, 1960, 1969
"Mes prisons avec Dieu"
Notre christianisme en Occident, de par la liberté de culte et le confort matériel dont nous jouissons, a exclu l'expérience de la souffrance comme moyen divin de croissance à la fois individuelle et collective. La profondeur du vide intérieur, l’adversité des puissances démoniaques opposées à l’Evangile de Jésus-Christ et animant les idéologies humaines qui contrôlent les terres des martyrs – Russie, Corée du Nord, Chine, Laos, pays islamistes, etc.- sont étrangères à notre expérience chrétienne normale. Or les saints les plus consacrés, dans toute l'histoire de l'Eglise, ont connu les épreuves les plus atroces et les privations les plus pénibles. Le sang précieux de ces hommes et femmes persécutés pour leur foi parle mieux que celui d'Abel. Il nous transmet la transpiration de leur âme, et nous communique les larmes qu’ils ont versées. Richard Wurmbrand est l'un de ceux-ci. Il passa 14 années dans les prisons communistes de Roumanie, dont près de 3 années de solitude complète en cellule d'isolement. Les nombreuses expériences qui furent les siennes sont décrites dans un grand nombre de livres qui devinrent des best-sellers. Dans un de ses livres, il raconte dans un poème ce qui fut l'une de ses plus profondes expériences spirituelles:
"Seul dans ma cellule, maintenant, je pouvais sentir presque physiquement la présence de Satan. Il faisait sombre, froid, et il se moquait de moi. La Bible parle de lieux retirés où les esprits mauvais dansent, et j'étais dans un de ces lieux. J'entendais sa voix, jour et nuit: "Où donc est ton Jésus? Ton sauveur ne peut pas te sauver. On t'a menti, et tu as menti aux autres. Il n'est pas le Messie ! Tu t'es trompé de personne!" Alors j'ai crié: "Et qui est le vrai Messie qui doit venir?" La réponse fut simple, mais trop blasphématoire pour être répétée ici. J'avais écrit des livres et des articles prouvant que Jésus était le Messie, mais je n'avais pas même un seul argument à présenter. Le diable, qui était parvenu à faire douter en prison Nils Hauge, le grand évangéliste norvégien, qui avait fait de même à Jean Le Baptiste dans son donjon, s'acharnait contre moi. J'étais sans défense. Ma joie, et ma sérénité, tout s'en était allé. J'avais senti le Christ si proche de moi auparavant, enlevant mon amertume, illuminant mes ténèbres, mais à ce moment je criais: "Eli, Eli, lama sabachtani". J'étais totalement seul, abandonné.
Durant ces jours effroyables de noirceur, lentement j'ai composé un poème, qui ne serait pas aisément accepté par ceux qui n'ont pas connu les mêmes expériences physiques et spirituelles. Ce poème me sauva. Avec ces mots, leur rythme, et leur répétition, j'ai réussi à vaincre Satan.
Voici, sans les rimes, ni le rythme, le poème dans son sens exact traduit du roumain :
Depuis mon enfance j'ai fréquenté églises et temples,
En eux, Dieu est glorifié.
Différents prêtres chantaient, avec zèle.
Ils disaient qu'il était bon de T'aimer.
Mais en grandissant, je vis tellement de malheurs
dans le monde de ce Dieu que je me dis à moi-même:
"Il a un cœur de pierre. Autrement, il ôterait les difficultés de notre chemin."
Des enfants malades luttant contre la fièvre dans des hôpitaux,
pendant que leurs parents prient pour eux.
Le Ciel reste sourd.
Ceux que nous aimons partent pour la vallée de l'ombre et de la mort,
et pourtant nous avions prié très longtemps.
De jeunes hommes innocents brûlent vif dans une fournaise.
Et le Paradis est silencieux.
Il laisse les choses se faire.
Dieu ne s'est-Il jamais posé la question si, même à voix basse,
les croyants eux-mêmes ne commençaient pas à douter?
Affamés, torturés, persécutés dans leur propre patrie,
leurs questions demeurent sans réponse.
Le Tout-Puissant n'est pas concerné
par les horreurs qui sont notre lot.
Comment puis-je aimer le Créateur des microbes,
et des tigres mangeurs d'hommes?
Comment puis-je aimer Celui qui torture tous Ses serviteurs
parce que l'un d'eux une fois a mangé d'un arbre?
Plus triste que Job, je n'ai plus ni femme, ni enfants, ni consolateurs,
Et dans cette cellule, il n'y a pas de lumière, pas même un peu d'air,
c'est trop dur à supporter.
De mon lit en planche, ils me feront un cercueil.
Étendu sur mes planches, je me demande encore
pourquoi mes pensées vont vers Toi,
pourquoi mes écrits vont vers Toi?
Pourquoi j'ai cet amour passionné pour Toi,
pourquoi je n'arrive pas à chanter à quelqu'un d'autre qu'à Toi?
Je sais que je suis rejeté;
dans un petit moment, je serai dans un trou, en train de pourrir.
La fiancée du Cantique des cantiques ne t'aime pas
lorsqu'elle demande si Tu es "correctement aimé".
L'amour est à lui-même sa propre justification.
L'amour n'est pas pour les hommes sages.
Même si mille embûches se dressaient sur sa route, elle continuerait d'aimer.
Même si le feu la brûlait ou si les vagues l'emportaient,
elle continuerait d'embrasser la main qui la blesse.
Si elle ne trouve aucune réponse à ses questions, elle a confiance et elle attend.
Un jour, dans ces lieux retirés, le soleil brillera
et tout ce qui est caché sera révélé pleinement.
Le pardon de ses nombreux péchés n'a fait qu'augmenter l'amour ardent de Madeleine.
Mais elle a donné son parfum, et versé ses larmes
avant que Tu ne lui adresses les mots du pardon.
Si ces mots n'étaient pas sortis de Ta bouche, elle serait restée là,
à t'aimer, en restant dans ses péchés.
Elle t'aimait avant que Ton sang ne se mette à couler.
Elle t'aimait avant que Tu ne la pardonnes.
Je ne demande pas non plus s'il est bon et légitime de T'aimer.
Je ne T'aime pas pour obtenir un jour le salut.
Je t'aimerai même si mes malheurs durent éternellement.
Je T'aimerai jusque dans le feu de l'enfer.
Si Tu avais refusé de descendre jusqu'aux hommes,
Tu serais resté mon rêve, lointain.
Si Tu n'avais pas voulu semer Ta Parole,
je T'aurais aimé sans l'avoir entendue.
Si le jour de la Crucifixion, Tu avais hésité et même si Tu T'étais enfui,
et que le salut n'existerait pas, je T'aimerais quand même.
Et si j'avais découvert qu'il y avait du péché en Toi, je le couvrirais de mon amour.
Maintenant, je n'ai plus peur de dire les paroles d'un fou,
pour que tous sachent combien je T'aime.
Maintenant, je vais faire vibrer des cordes que personne n'a jamais touchées
et je vais Te magnifier avec une musique nouvelle.
Si des prophètes annonçaient quelqu'un d'autre,
je les quitterais pour rester avec Toi.
Qu'ils produisent un millier de preuves, mon amour n'ira qu'à Toi.
Si j'étais divinement averti que Tu fus un trompeur,
en pleurant je prierais pour Toi,
Et même si je ne Te suivais pas dans l'erreur,
mon amour ne diminuerait pas pour Toi.
Pour Saül, Samuel passa sa vie dans le jeûne et les larmes.
Même si j'apprenais que Tu avais perdu, mon amour résisterait.
Si c'était Toi et pas le diable qui T'étais révolté contre le ciel,
et avais perdu la sympathie des anges,
Si Tu étais tombé comme un archange, de haut, de très haut, sans espoir,
Moi je continuerais d'espérer que le Père Te pardonne
Et qu'un jour Tu marcherais de nouveau dans les rues pavées d'or du Ciel.
Si Tu n'étais qu'un mythe, je fuirais la réalité et me réfugierais avec Toi dans le rêve.
Si l'on me prouvait que Tu n'existes pas, c'est mon amour qui Te donnerait la vie.
Mon amour est fou, sans motif et sans raisons, comme le Tien.
Seigneur Jésus, trouve un peu de bonheur dans ce lieu où je me trouve.
Je ne puis pas t'offrir plus.
Lorsque j'eus écrit ce poème, je n'ai plus jamais senti la proximité de Satan. Il était parti. Dans le silence, je sentais le baiser de Christ. Tout le monde est silencieux quand on l'embrasse. Le calme, et la joie revinrent. "
" …Je passai deux années, isolé dans une cellule. Je n’avais rien à lire, rien pour écrire. J’avais mes pensées pour seules compagnies. Or j’étais un homme d’action plus qu’un contemplatif.
Avais-je vraiment vécu pour servir Dieu, ou simplement exercé ma profession [de pasteur]? Les gens s’attendent à ce que les pasteurs soient des modèles de sagesse, de pureté, de sincérité; ils ne peuvent pas toujours l’être véritablement, parce que ce sont aussi des hommes; ils commencent donc dans une plus ou moins grande mesure par jouer le jeu, puis au fur et à mesure que le temps passe, ils sont incapables de dire quelle part de comédie il y a dans leur comportement.
Je me souvenais du profond commentaire qu’écrivit Savonarole sur le Psaume 51 alors qu’il était en prison et tellement roué de coups qu’il ne put signer ses propres "aveux" que de la main gauche. Il disait qu’il y a deux sortes de chrétiens : ceux qui croient sincèrement en Dieu et ceux qui, tout aussi sincèrement, croient qu’ils croient. On peut les reconnaître à leur comportement dans les moments décisifs. Si un voleur qui avait projeté de cambrioler une riche demeure aperçoit dans les parages un inconnu qui pourrait être un policier, il se cache. Si, réflexion faite, il pénètre quand même dans la maison, cela prouve qu’il ne croit pas que l’homme est un représentant de la loi. Nos actes témoignent de nos convictions.
Croyais-je en Dieu ? L’heure de vérité avait sonné. J’étais seul. Il n’y avait pas de salaire à gagner, pas d’avis précieux à prendre en considération. Dieu ne m’offrait que la souffrance : allais-je continuer à L’aimer ?
… J’appris peu à peu que sur l’arbre du silence pousse le fruit de la paix. Je commençais à prendre conscience de ma vraie personnalité, et à être sûr qu’elle appartenait au Christ. Je découvris que même dans cette cellule mes pensées et mes sentiments se tournaient vers Dieu et que je pouvais passer nuit après nuit en prières, exercices spirituels et louanges. Je savais à présent que je ne jouais pas la comédie et que je croyais à ce que je croyais.
Je mis au point une routine à laquelle je me tins durant les deux années suivantes. je restais éveillé toute la nuit. Lorsqu’à dix heures la sonnerie donnait le signal du sommeil, je me mettais à l’œuvre. Quelquefois j’étais triste, quelquefois joyeux, mais les nuits n’étaient jamais assez longues pour tout ce que j’avais à faire.
Je commençais par une prière d’où les larmes, des larmes de reconnaissance souvent, étaient rarement absentes. Les prières, comme les signaux radio, s’entendent mieux la nuit; c’est alors que se livrent les plus grandes batailles spirituelles. Ensuite, je prononçais un sermon comme je l’aurais fait à l’église, débutant par "frères bien-aimés", dans un chuchotement que nul garde ne pouvait entendre et terminais par "amen". Je prêchais avec la plus grande sincérité. Je n’avais pas besoin de me préoccuper de ce que penserait l’évêque, de ce que dirait la congrégation, de ce que les mouchards répéteraient. Je ne prêchais pas dans le vide. Chaque sermon est entendu par Dieu, ses anges et ses saints; mais je sentais qu’il y avait aussi parmi mes auditeurs invisibles ceux qui m’avaient amené à la foi, mes ouailles vivantes ou mortes, ma famille et mes amis. Ils étaient "cette nuée de témoins" dont parle la Bible. Je faisais l’expérience de la "communion des saints" du credo."
Après 14 années d’emprisonnement, de sévices et de tortures dans les prisons communistes de Roumanie, Richard Wurmbrand, retrouvant finalement la liberté, dit qu’il eut l’impression en quittant ce monde carcéral où il fit de puissantes expériences spirituelles au milieu de ses souffrances, que c’était comme redescendre de la montagne de Dieu.
Il explique plus loin, dans son ouvrage "Mes prisons avec Dieu" (p. 41) :
"…Tous les chrétiens ne sont pas des disciples du Christ, dans le vrai sens du terme. L’homme qui entre chez le coiffeur pour se faire raser ou qui commande un costume chez le tailleur n’est pas un disciple, mais un client. De même celui qui va au Sauveur seulement pour être sauvé est le client du Sauveur, non son disciple. Le disciple est celui qui dit au Christ : "Comme j’aimerais faire le même travail que toi ! Aller d’un endroit à un autre pour en chasser la peur et lui substituer la joie, la vérité, la consolation et la vie éternelle ! "
" … Des millions d’êtres humains invoquent le Père chaque jour. Mais puisque nous sommes les enfants de Dieu, et puisque les enfants partagent les responsabilités de leur père, alors ces prières s’adressent aussi à nous. Le Père que tous prient n’est-il pas dans mon cœur ?
Ainsi lorsque je dis "Que ton nom soit béni", j’ai moi-même à bénir le nom de Dieu. "Que ton règne vienne", je dois lutter pour abattre les puissances du mal qui régissent une grande partie du monde. "Que ta volonté soit faite", et la volonté des bons, non celle des méchants. "Pardonne-nous nos péchés", il faut aussi que je pardonne; "Délivre-nous du mal", je dois donc faire tout ce que je peux pour libérer l’homme du péché".