Ary Scheffer (1795-1858) un protestant hollandais. Il a vécu et travaillé à Paris. Il est mort à Argenteuil le 15 juin 1858. Il avait acquis un succès considérable, fut professeur de dessin des enfants du roi Louis-Philippe. Il était débordé de commandes flatteuses et vivait dans les honneurs.
Ary Scheffer était un esprit religieux, un romantique froid, à la fois mystique et cérébral. Sa peinture est calme, très élaborée, réfléchie.
Il s'est beaucoup consacré aux sujets religieux. À la différence des peintres catholiques qui peignent fréquemment des Vierges à l'enfant, des crucifixions et des martyres de saints, il peint, à la manière protestante, des scènes de l'évangile : « Le Christ Consolateur », les « Bergers conduits par l'Étoile », les « Rois mages déposant leurs couronnes », le « Christ au Jardin des Oliviers », le « Christ portant sa croix », le « Christ mis au tombeau » et finalement, le tableau auquel il travailla durant les dix dernières années de sa vie, « La tentation du Christ ».
« La tentation du Christ ».
En protestant habitué à lire la Bible, Ary Scheffer illustre le récit biblique :
Le diable le transporta encore sur une haute montagne, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire et lui dit :
- Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m'adores.
Jésus lui répondit :
- Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : « Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul ». Matthieu 4. 8
C'est un immense tableau mesurant plus de 2 mètres de large sur près de 4 mètres de haut. Le dessin semble « réaliste », à la manière d'Ingres. Mais l'absence presque complète du cadre dans lequel la scène est censée se dérouler ainsi que des menus détails utilisés habituellement pour « faire vrai », la très grande simplicité du vêtement du Christ obligent le spectateur à focaliser son attention sur la calme assurance reflétée par le visage du Christ sans être véritablement interrogé sur la réalité de la personne du diable.
Celui-ci est caractérisé par la couleur brune de sa peau, évidemment maléfique et la naissance de ses ailes traditionnelles. Mais Scheffer ne s'est pas laissé aller à lui donner des pieds de boucs, une queue fourchue ou des yeux flamboyants ! Il n'a rien de surnaturel ou d'effrayant. Il n'est, en fait, que le représentant d'une mauvaise pensée.
Le Christ montre le ciel du doigt ; son calme et son auréole manifestent sa sainteté. Par contraste, le diable est musclé, son visage tourmenté. C'est un être de passion et de volonté mais ce sont les réalités « du bas » qu'il désigne en un geste pressant. La paix et l'harmonie qui émanent du Christ sont, à l'évidence, enracinées au plus profond de son âme. La méditation dont il vit, la force qui émane de sa stature tranquille nous indiquent la clarté du Monde heureux qui est celui de Dieu.
Le « « Christ consolateur », n’était pas seulement un grand tableau (2m 40 x 3m), c’était également l'une des œuvres majeures du peintre Ary Scheffer. L’œuvre avait été exposée au Salon de 1837, et y avait connu un très grand succès.
Le duc d’Orléans avait fait l’acquisition du tableau pour qu’il prenne place dans l’oratoire de la princesse. Une chapelle du Palais des Tuileries avait en effet été transformée en oratoire luthérien pour la duchesse d’Orléans. Le 21 juin 1837, le pasteur Cuvier était venu le consacrer. Il y déposa une Bible.
Scheffer avait dépeint le Christ en tant que consolateur des affligés suivant un texte de l’Évangile selon saint Luc 4 : 18-19 :
« Je suis venu pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour annoncer aux captifs leur délivrance, pour mettre en liberté ceux qui sont sous les fers. »
Une lumière émanait du Christ éclairant tous les personnages. Au premier plan à gauche, une femme était penchée sur son enfant mort. Toujours à gauche, on pouvait voir un naufragé et un exilé, ainsi que trois créatures délicates « représentant les angoisses du cœur, les douleurs de l'âme aux trois âges de la femme».
C’était une peinture engagée dans son siècle. Marie Madeleine éplorée à droite, brisait les chaînes de la Pologne expirante, qui était à l'époque sous le joug russe. A droite se trouvait également, un esclave de l'Antiquité, un serf du Moyen Age et un Grec. Pour représenter les esclaves modernes l’artiste avait peint un noir ! Le geste de l’esclave était d’ailleurs directement inspiré du médaillon créé en 1787 pour la première campagne de la Société britannique pour l’abolition de l’esclavage. Josiah Wedgwood avait entouré l’image de cette inscription : « Ne suis-je pas un homme et un frère ? »
Le tableau est resté accroché dans l'oratoire de la duchesse d'Orléans jusqu'en 1848. Mais le tableau, eut néanmoins un impact réel. L’image se propagea partout, notamment à travers l'estampe éditée par Goupil. Scheffer lui-même en fit plusieurs reproductions réduites.
Il fut ensuite vendu aux enchères forcées en 1853, pour 52 500 francs.
Le tableau est finalement entré dans la collection du Musée historique d'Amsterdam dans le cadre du legs du baron du charbon Carel Joseph Fodor (1801-1860) en 1860. Il est prêté au Musée Van Gogh depuis 1987 en raison de la grande admiration de Vincent Van Gogh pour Scheffer.
Une version réduite de 1851 de Christus Consolator se trouve actuellement au Minneapolis Institute, Il s'agit du tableau qui a voyagé aux États-Unis, au 19e siècle dans les 10 années précédant le Guerre de Sécession. .En effet, les mouvements anti-esclavagistes l’apprécièrent beaucoup.
Par la suite, Harriet Beecher-Stowe, auteur de La Case de l’oncle Tom, verra à Boston cette reproduction réduite, et ne tarira pas d’éloges :
« Je ne prends conseil que de mes yeux, qui, s’ils ne sont pas aussi bons qu’ils pourraient l’être, sont du moins les meilleurs que Dieu m’aient donnés. Scheffer est évidemment un poète de premier ordre. Ses idées sont sublimes et religieuses, et sa puissance d’expression ne le cède ne rien à celle de plus d’un des grands maîtres qui n’ont rien trouvé, après tout, d’extraordinaire à exprimer.»
Plusieurs autres tableaux de dimensions identiques enregistrées dans diverses collections (les musées de Dordrecht et d'Utrecht, par exemple), ont été peints par Scheffer au début des années 1850 à la suite de l'extraordinaire popularité de la peinture originale en Europe et en Amérique.
---------------------------------------------------------------------------------
Le 25 mai 2016, la Société des amis du musée Bartholdi de Colmar a acquis une des versions réduites du Christ consolateur. Elle en a fait don en 2018 au Musée Bartholdi de Colmar, puisque , ce peintre compta beaucoup pour l’artiste colmarien Auguste Bartholdi qui fréquenta son atelier dans sa jeunesse.
------------------------------------------------------------------------------------------------
Notice du Musée Bartholdi Colmar :
Ary Scheffer (1795-1858) est un peintre et penseur d'origine hollandaise né à Dordrecht. Il n'a que 16 ans lorsque sa mère prend la décision de s'installer en France, à Paris, où elle l'inscrit à l'École des Beaux-Arts. Il intègre ainsi l'atelier du peintre néoclassique Pierre-Narcisse Guérin, avec pour condisciples Delacroix et Géricault. Très vite, Ary Scheffer s'impose alors parmi les maîtres du Romantisme français.
Le Christ consolateur est sûrement l'une des œuvres les plus importantes d'Ary Scheffer. Manifeste de son engagement politique et religieux, elle est inspirée de l'Évangile de Luc, chapitre IV, verset 18 et 19 : « Je suis venu pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, et pour annoncer aux captifs leur délivrance, pour mettre en liberté ceux qui sont brisés sous leurs fers. »
Pour ses sujets et ce qu'ils symbolisent, le tableau fait polémique et choque autant qu'il inspire. Au centre, le Christ montre ses plaies et console l'Humanité. Il comprend sa souffrance et la délivre de tous les maux qui l'accablent. À ses pieds, un Polonais est étendu sur le drapeau de son pays maculé de sang. Il incarne le désespoir de son peuple, opprimé par la Russie dans l'indifférence glaçante du reste de l'Europe. Juste au-dessus, un esclave noir aux poignets liés supplie qu'on le libère des chaînes qui l'avilissent. De l'autre côté du Christ, le premier homme à sa gauche représente les suicidés, condamnés par l'Église, mais pour lesquels Scheffer, protestant aux conceptions progressistes, ne ressent que compassion et clémence.
Ces sujets, Bartholdi les personnifiera également à travers plusieurs de ses œuvres, comme dans son Martyr moderne ou le Monument Bruat, sans oublier La Liberté éclairant le monde. L'impact que Scheffer aura sur Bartholdi et sa carrière est considérable. En 1859, quelques mois après la mort de l'artiste, Auguste écrit : « Je suis élève d'Ary Scheffer et le seul élève sculpteur qu'il ait formé. Il a fait depuis mon enfance toute mon éducation artistique, […] il m'a toujours appuyé de ses conseils, venant voir mes travaux, jusque dans ses derniers jours […] me témoignant toujours une affection paternelle. »