François-René de Chateaubriand et la Bible
Le Génie du Christianisme, qui est vendu en librairie depuis le 14 avril 1802, ouvre, au tout début du 19ème siècle, en France, une époque nouvelle de lecture de la Bible. Ce sera même un des apports les plus durables du livre. Sur ce point son influence se fera sentir pendant pratiquement tout le siècle, et au-delà.
Chateaubriand, s’était, en effet, attaché, dans des buts apologétiques, à comprendre la séduction que ce livre opérait même sur ceux qui disaient ne pas croire aux dogmes chrétiens , en procédant à un véritable travail de critique littéraire, afin de repérer précisément et de mettre en lumière les beautés et les originalités du texte sacré. Il avait conduit et réussi ce travail de main de maître.
Le livre premier est ainsi précédé d’une citation du Livre de Job placée en exergue :
"Sicut nubes … quasi naves … velut umbra".
L’étude de l’Ecriture sainte est au centre du Génie du christianisme :
-Déjà, dans la première partie (Dogmes et doctrine) les livres III et IV traitent des vérités de l’Ecriture et des objections contre le système de Moïse. Ces huit chapitres s’attachent à montrer les significations et les vérités du livre de la Genèse, envisagé comme le fondement de la vision chrétienne de l’homme.
-Mais c’est dans la deuxième partie (Poétique du christianisme), au livre V, intitulé La Bible et Homère, que Chateaubriand se montre particulièrement original et profond : C’est un corps d’ouvrage bien singulier que celui qui commence par la Genèse, et qui finit par l’Apocalypse, qui s’annonce par le style le plus clair, et qui se termine par le ton le plus figuré…. Vingt auteurs, vivant à des époques très éloignées les uns des autres, ont travaillé aux livres saints ; et quoiqu’ils aient employé vingt styles divers, ces styles toujours inimitables, ne se rencontrent dans aucune composition.
Le Nouveau Testament, si différent de l’Ancien par le ton, partage néanmoins avec celui-ci cette étonnante originalité. Chateaubriand distingue ensuite trois styles principaux dans l’Ecriture : le style historique, la poésie sacrée, le style évangélique.
Pour Chateaubriand, la Bible est bien plus qu’un texte littéraire : la Bible c’est la littérature, un texte qui contient le caractère de l’homme et la beauté de la nature, qui associe la simplicité au sublime, c'est-à-dire en langage moderne la force de l’évidence au sentiment, l’énergie à la mélancolie … la Bible offre l’image d’un texte supérieur, à jamais inégalable, mais qui montre la voie au génie. Le christianisme garantit la valeur du langage, la présence des choses dans les mots, l’incarnation des idées dans une forme sensible.
L’attachement et l’intérêt de Chateaubriand pour la Bible ne se limitèrent pas à la rédaction du Génie du christianisme. Il est clair qu’il continua toute sa vie à lire l’Ecriture.
Sa bibliothèque de la Vallée-aux-Loups, dont nous possédons le catalogue, parce qu’il fut obligé de la vendre en 1817, contenait plusieurs éditions des textes sacrés, en hébreu et en latin. Les traductions françaises étaient à la fois celles de catholiques (Lemaître de Sacy, les docteurs de Louvain) et de protestants (Genève).
Chateaubriand poursuivra ce privilège donné au texte de la Bible pendant toute sa carrière d’écrivain, dans des œuvres les plus diverses : dans son roman-épopée (Les Martyrs, 1809), dans son principal récit de voyage (L’Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1811), dans la seule œuvre qu’il rédigea pour la scène (Moïse, 1831), dans sa traduction de Milton (Le Paradis perdu, 1836), dans ses travaux historiques (Vie de Rancé, 1844) … Les Mémoires d’outre-tombe, enfin, abondent en références significatives à l’Ecriture sainte.
Dans les Mémoires d’outre-tombe, l’ouvrage que Chateaubriand n'a cessé d’écrire et de corriger dans la deuxième partie de sa vie. Il y a dénombré pas moins de 369 citations ou allusions bibliques. Elles viennent pour la plupart des Evangiles, des Actes des Apôtres, et des Psaumes, mais aussi de la Genèse, des Epîtres de Paul, du livre de Job, d’Esaïe, de l’Ecclésiaste.