Miguel Delibes Setién, né le 17 octobre 1920 à Valladolid, Castille-et-León, et mort le 12 mars 2010 (à 89 ans) à Valladolid, est l’un des plus importants écrivains en langue espagnole. Membre de l'Académie royale espagnole depuis 1973, Miguel Delibes était donné comme "nobelisable". Il avait remporté les plus grandes distinctions littéraires de son pays, parmi lesquelles les prix Prince des Asturies en 1982 et Cervantès en 1983. Son oeuvre est traduite dans une trentaine de langues.
Alors qu’il avait annoncé la fin de sa production littéraire, Miguel Delibes, est réapparu en 1999, à près de quatre-vingts ans, avec un roman historique, le plus volumineux et documenté qu’il ait jamais rédigé : El hereje (L'hérétique, Verdier, 2000)). A travers son écriture limpide et sereine, Delibes devient le chroniqueur d’un temps immuable :
« Installé entre les fleuves Pisuerga et Esgueva, la Valladolid du deuxième tiers du XVIe siècle était une ville de vingt-huit mille habitants, ville de services à laquelle la Chancellerie royale et la Noblesse toujours attentive aux minauderies de la Cour conféraient un prestige social manifeste... »
Avant le terrible incendie de 1561, Valladolid était la résidence habituelle de la Cour, la plus importante des villes castillanes et l’une des plus riches, industrieuses et animées des grandes agglomérations espagnoles. Le luxe, la modernité des moeurs, l’affluence d’étrangers, tout était prêt pour l’enracinement des idées novatrices qui faisaient leur chemin en Europe au XVIe siècle.
Cependant, la confusion régnait concernant le renouveau du christianisme. Nous sommes en 1557. Charles Quint s’est retiré dans le monastère de Yuste, laissant le trône à son fils Philippe II. De sa retraite, l’ancien empereur suit tous les pas du Saint- Office (Inquisition) et encourage son héritier à la sévérité. Principale consigne à Philippe : punir les hérétiques « avec la plus grande rigueur, sans aucune exception et sans aucun égard pour qui que ce soit ». Comble de malheur pour lui, son chapelain et prêcheur favori, le docteur Cazalla, devient luthérien et crée un foyer protestant à Valladolid.
L’HÉRÉTIQUE est donc la chronique de la communauté qui se forme autour du docteur Cazalla. On y compte nombre d’industriels, de bourgeois et notamment de femmes « qui délaissaient la quenouille pour la théologie ».
Mais la principale victime sera Cipriano Salcedo, seul personnage de fiction parmi les autres, dont les noms figurent dans les annales de l’Inquisition. Salcedo est de retour d’un voyage en Flandres. Envoyé en tant que représentant du groupe protestant de Valladolid, il y a pris contact avec Philippe Melanchton, le successeur spirituel de Luther. Salcedo revient chargé de livres interdits, dans lesquels il est question d’Erasme, de Luther, des sacrements et surtout de la « lèpre », comme on appelait alors, en Espagne, la théologie protestante. Cela constituait en soit un grave délit.
Dès mars 1521, le pape Léon X avait envoyé une circulaire à tous les gouverneurs de Castille afin qu’ils interdisent les livres de Luther et de ses partisans.
Dans ce contexte précis, Miguel Delibes nous raconte donc la vie de Cipriano Salcedo. Enfant naïf et bon, devenu un riche commerçant en laines et en peaux mais droit et plein de scrupules. Il s’indigne de la corruption de l’Eglise de Rome et ne trouve un certain apaisement que dans les cénacles des réformistes. Il comprend aussi que la dissidence luthérienne est essentiellement positive, mieux adaptée pour transformer l’état social. Il renonce aux richesses et aux plaisirs de la chair.
Arrêté, il subit un procès historique avec tous les luthériens. Le corps défait par la torture, Salcedo monte au bûcher sans renier sa foi. Les autres condamnés feignent de se convertir pour éviter de brûler vifs. Comme si seul un héros de fiction pouvait s’immoler pour ses idées...