«Peindre de telle façon que chacun puisse me comprendre». Par cette phrase Vincent Van Gogh témoignait à son frère Théo de son désir d’être compris autant que sa tristesse de ne pas l’être. 500 années auparavant Jan Van Eyck, probablement le plus génial des peintres flamands, écrivait en dessous de ses œuvres «du mieux que je peux». Souci d’humilité ou peur de ne pas être à la hauteur de la tâche? Plus proche de nous, l’artiste hollandais Karel Appel s’exclamait dans une interview: «Je ne peins pas, je cogne». Ces trois phrases reflètent bien l’esprit du temps dans lequel ont vécu ces trois artistes.
Miroir d’une époque
Au XVe siècle, ce qui était important était la qualité d’un travail bien fait, accompli dans un état d’âme tourné vers le divin. Quelques siècles plus tard, Vincent Van Gogh a voulu peindre toute la beauté d’une nature riche en couleurs. Son existence dramatique est aujourd’hui populaire comme une sorte de légende sacrée et son nom est devenu le symbole de l’art moderne. Fils de pasteur, il a en lui cet héritage chrétien qu’il portera toute sa vie, oscillant entre son désir artistique et sa ferveur religieuse. Au XXe et XXIe siècles, Karel Appel, un exemple parmi d’autres, montre à travers son œuvre toute la rudesse et la complexité d’un monde dans lequel Dieu est absent. Existe-t-il un art chrétien? Je ne le pense pas, mais l’artiste chrétien apporte une réponse différente dans son art. Sa vision du monde est autre, car sa foi a transformé son être. Sa confiance en Jésus-Christ a changé sa manière de vivre et de percevoir les choses.
Miroir d’une conviction
L’art est un vecteur de communication important. À travers les siècles, des artistes ont peint dans l’esprit de leur temps avec joie, parfois souffrance, souvent sincérité. Sincérité, voilà le mot le plus important pour un artiste et particulièrement pour l’artiste chrétien. Georges Rouault, peintre français mort en 1958, en est la preuve. Il appartient à la même génération que Picasso. Rouault, animé d’une foi sincère, s’est appliqué à peindre avec authenticité. Compassion, charité, amour s’inscrivent dans son œuvre. Sa plus grande réussite est une série de gravures appelée «Miserere». Ces gravures décrivent la guerre, l’amour, la faiblesse de l’homme, sa souffrance, mais avec le Christ comme rédempteur. Alors que Picasso montre la destruction de l’humanité, Rouault montre qu’une autre sorte d’art est possible. Un art qui est une réponse positive à l’absurdité, au surréalisme et à l’existentialisme. Rouault montre ce que cela signifie de croire en Dieu et d’aimer son prochain de nos jours. Il fait partie de ces artistes chrétiens animés d’un esprit de sincérité. Jacques Ellul écrivait: «Je décris un monde sans issue, avec la conviction que Dieu accompagne l’homme dans toute son histoire». Le chaos mondial n’est pas vraiment rassurant et les guerres dans lesquelles chacun combat au nom de Dieu ne sont pas faites pour encourager les braves citoyens à se tourner vers Dieu. Pourtant, Jésus est très clair en nous disant: «Venez à moi, vous qui êtes chargés et fatigués, je vous donnerai du repos» (1).
Miroir et témoin
Un des rôles majeurs de l’artiste chrétien aujourd’hui est de montrer dans quels temps nous sommes. C’est ainsi que l’artiste Alexander de Cadenet a réalisé, en se référant au livre de l’Ecclésiaste, une série de trois photographies montrant trois crânes. Ce livre, que nous trouvons dans la Bible, évoque la fragilité du bonheur, de la vie. C’est une autre réponse à la question du sens de la vie. L’intention de l’artiste est de nous montrer qu’en définitive, nous ne sommes qu’un souffle et que nous finirons tous de la même façon. Ce qui est chrétien dans l’art ne réside pas dans le thème mais dans l’esprit qui l’anime, dans sa sagesse et dans la compréhension de la réalité qu’il reflète. De même que le fait d’être chrétien consiste à montrer le renouveau d’une vie en Christ. Le christianisme est pour le renouveau de la vie. Donc il est aussi pour le renouveau de l’art. Mahalia Jackson, la talentueuse chanteuse de gospel a dit:«I’m going to live the life I sing about in my song» (je vais vivre la vie que je chante dans mon chant!). Être vrai! Prendre conscience de ses propres possibilités, agir dans l’amour de la liberté à l’intérieur des structures données, lutter contre le mal et ses conséquences, c’est là ce qu’implique le terme de créativité. La créativité artistique n’est qu’une de ces nombreuses possibilités créatrices. Créer une œuvre d’art prend du temps, et l’art de qualité est toujours le résultat d’un travail ardu.
Du temps pour créer
Malheureusement dans la société contemporaine l’accent est mis sur l’obligation de «rapidité». Tout doit aller vite, il n’y a plus de choix, pas d’autre alternative qu’évoluer, accélérer, pour ne pas être dépassé. Moins le futur est prévisible plus il faut être mobile. Nous vivons donc dans une culture du plus vite. Ce qui engendre un climat de «peur», peur de ne pas être compétitif ou de ne pas être suffisamment performant par exemple. L’historien Jean Delumeau écrivait à propos de la peur: «Dans l’histoire du monde, les peurs se modifient, mais la peur demeure». Comme chacun le sait, la peur est le principal obstacle à notre épanouissement. Je pense à cet artiste chinois Wang Xingwei, dont j’ignore s’il est chrétien ou non, mais qui dans son art montre clairement ce qu’est la peur. Dans une de ses peintures, il nous montre un personnage tenant un lapin par les oreilles l’obligeant à regarder un autre personnage parlant à la télévision. Sur une table une carotte est déposée. Le lapin est terrorisé! Le message est clair: «il faut», «tu dois» regarder ce programme, tu dois écouter ce que dit ce monsieur, alors «tu recevras une carotte». Dans ce monde en ébullition, il faut plus que jamais être attentif à ce qui se passe. Cela nous concerne! Jésus ne demandait pas à ses disciples de se retirer du monde mais d’y être ses témoins. En tant qu’artiste chrétien, vivant de mon art, je peux confirmer que ce que dit Dieu dans sa parole, est devenu réalité pour moi. Nous vivons aujourd’hui le résultat du siècle des lumières, en politique comme dans le monde artistique. Un monde qui perd ses repères et ses racines chrétiennes. Une visite dans un musée d’art moderne vous montrera dans quel temps nous nous situons. Le philosophe Kierkegaard a écrit que «La foi est un saut loin de la raison». Ce «saut», je l’ai fait il y a trente ans. Je ne l’ai jamais regretté. La lecture de la Bible a transformé ma vision de la vie et de la mort. La vie de Jésus-Christ m’a interpellé. Dans l’évangile de Matthieu, une petite phrase a retenu mon attention, lorsque Jésus demande à Pierre, un de ses disciples: « Toi, qui dis-tu que je suis?», il lui répond: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant» (2). C’est ce que j’ai répondu, moi aussi, 2000 ans après Pierre. Jean Cocteau écrivait: «Beaucoup de gens vivent dans les ruines de leurs habitudes». C’est vrai qu’il est plus tentant de vivre dans un confort provisoire, mais le risque de la foi en Jésus-Christ vaut la peine d’être vécu.