«Et vous, qui dites-vous que je suis?» Cette interrogation adressée par Jésus-Christ à ses propres disciples (1) renvoie les chrétiens et les curieux à leurs responsabilités. Qui est, pour moi, le Christ? Que ce soit au travers de la peinture, de la littérature ou du cinéma, les artistes font plus que tenter de répondre à la question: pour le meilleur ou pour le pire, ils donnent des guides, des modèles au grand public. De ce point de vue, Mel Gibson a parfaitement réussi son coup: frapper les imaginations des foules, y compris en France (1,7 million de spectateurs) par une représentation crue, puissante et controversée du Fils de Dieu, messie rejeté par les siens, venu verser son sang (en quelle abondance!) pour… Pour quoi, au fait?
Vision du Christ dans le sacrifice
Le film ne s’attarde guère sur la raison du sacrifice. Tourné en araméen et en latin, il s’attache surtout à nous faire entrer dans l’horreur des dernières heures d’un Crucifié appelé à souffrir sans mesure pour des pécheurs qui ne comprennent pas ce qui se passe. Reconnaît-on Jésus dans cet homme martyrisé, lacéré avec férocité par des légionnaires sadiques? Reconnaît-on le Christ dans cet homme en prière, transpirant d’angoisse sous le ciel blafard du jardin de Gethsémané?
Vision transformée par le Christ
Film de son époque, marqué par une ultra-violence qui est aussi celle de nombreuses productions cinématographiques contemporaines, La passion du Christ (2) choque, et laisse s’imprimer, dans nos imaginations, le visage dégoulinant de sang d’un Jésus-Christ torturé jusqu’à la mort. Est-ce lui, le Jésus-Christ des évangiles? Chacun répondra pour soi-même, tantôt affirmatif («oui c’est par ce sang qu’il est le Sauveur que je reconnais»), tantôt sceptique («pas assez de résurrection là-dedans pour y discerner le Fils de Dieu»). Par-delà les images-chocs, une scène du film ouvre une lucarne différente : on voit Jésus, de dos, sur son chemin de supplicié vers Golgotha, croiser un regard sceptique. Quand ces regards s’entrelacent, le scepticisme disparaît, transpercé par quelque chose que Gibson ne montre pas de face, quelque chose qui ressemble au mystère de l’Incarnation. Loin du tapage et de la fureur, ces regards croisés en appellent non à nos tripes de spectateurs-voyeurs, mais à une rencontre authentique qui transforme notre vision.