Une idée répandue : deux approches strictement opposées
Un jour, errant dans une grande bibliothèque, Julie tombe sur un vieux manuel d’astronomie, qui date de 1763. Feuilletant l’ouvrage, les yeux tout ronds, elle trouve un dessein de notre système solaire avec six planètes seulement : Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, et Saturne. Elle le regarde en souriant. Certes, les hommes de l’époque n’étaient pas stupides, mais nos connaissances scientifiques actuelles montrent que leur vision de l’univers était incomplète, voire fausse. Elle replace le livre soigneusement sur l’étagère. Un peu plus loin, elle voit une Bible. Julie sait que la Bible est beaucoup plus ancienne que le manuel d’astronomie. N’est-il donc pas fort probable que ses affirmations sur le monde et l’univers soient elles aussi dépassées par rapport à la science moderne ? Et si c’est le cas, cela ne fragilise-t-il pas la crédibilité de la Bible en général ?
Pour beaucoup, la Bible et la science représentent deux approches de la réalité totalement opposées. La science permettrait de comprendre le monde naturel à l’aide de la raison, sur la base d’observations objectives. La Bible, elle, serait un livre qu’il faut accepter par la foi, sans justification logique. Les réussites de la science semblent l’avoir couronnée comme le moyen d’atteindre la vérité absolue. En revanche, la Bible parle d’un Dieu invisible dont on ne peut prouver l’existence. De plus, sur les points où la science et la Bible se contredisent, il est évident que c’est la première qui a raison. Galilée et son télescope ont triomphé sur l’Église catholique qui persistait dans l’affirmation que la terre ne bouge pas. La théorie du Big-bang a relégué l’idée d’une création en six jours au rang des mythes primitifs. Entre la science et la Bible, « il n’y a pas photo », disent-ils.
Ce chapitre ose présenter un autre point de vue. C’est une vision du monde qui fait place à la Bible et à la science, les reconnaissant toutes deux comme des apports complémentaires dans notre recherche de la vérité. Nous verrons aussi pourquoi des contradictions apparentes peuvent exister entre les deux, sans que l’autorité de la Bible soit automatiquement remise en question.
La conception chrétienne : deux types de révélation complémentaires
Les chrétiens croient que Dieu est le créateur de tout ce qui existe. C’est Dieu qui, au commencent, a créé l’univers entier à partir de rien. Dans cette perspective, la science consiste en l’étude de la création de Dieu et tout ce que les scientifiques découvrent a donc sa source en Dieu, le Créateur. La création exprime certaines choses sur Dieu (sa grandeur, sa puissance…), elle fait partie de sa “révélation générale”.
Les chrétiens croient aussi que Dieu a inspiré les auteurs qui ont écrit les soixante six livres de la Bible (voir le vol.2, ch.8). Ils considèrent donc Dieu comme l’auteur ultime de la Bible. Il y a révélé sa personne, ses plans pour l’humanité, et comment nous pouvons avoir une relation avec lui. Elle est sa “révélation spéciale”.
Puisque Dieu est la source de ces deux types de révélation, la nature et la Bible, les croyants s’attendent à ce qu’elles s’accordent parfaitement. Un Dieu bon et sage ne mettrait pas une contradiction entre l’univers qu’il a créé et la Bible qu’il a inspirée. La création et la Bible sont cohérentes. En principe, donc, la science et la Bible doivent se trouver en harmonie.
Deux domaines soumis à l’interprétation
Dans la pratique, il existe très peu de passages bibliques qui touchent à des domaines scientifiques. Mais ces rares cas soulèvent la question de la cohérence ou de la contradiction entre les deux. Ce qui rend la situation plus compliquée, c’est que nous n’avons un « accès direct » ni à la création, ni à la Bible. Pourquoi ? Parce que pour savoir ce que dit la nature, il faut faire de la science. Or, la science est l’interprétation humaine des observations de la nature. De même pour la Bible : pour savoir ce qu’elle affirme, nous devons l’interpréter.
Une interprétation est donc nécessaire des deux côtés, et puisque les êtres humains ne sont pas infaillibles, il y aura toujours un risque d’erreur. La science peut se tromper quant à l’interprétation des phénomènes de la nature, et les lecteurs de la Bible peuvent se méprendre sur son sens. Au cours des siècles, des théories scientifiques en ont régulièrement remplacé d’autres qui s’étaient révélées inexactes. L’interprétation de la Bible rencontre des phénomènes similaires au fur et à mesure que les recherches progressent. Et c’est d’ici que les contradictions apparentes peuvent surgir, même si la nature et la Bible s’accordent parfaitement.
Un peu de recul suffit pour voir que la science et l’interprétation de la Bible ne se font pas dans le vide. Même si toutes deux se veulent neutres, elles subissent des influences extérieures. La science est influencée par la vision du monde des chercheurs (qu’ils soient athées, bouddhistes, chrétiens, musulmans, ou autre). La politique aussi exerce son influence sur les experts scientifiques ; les débats sur le réchauffement climatique et les conséquences pour les nations industrialisées en sont un exemple. De manière similaire, l’interprétation d’un texte biblique prend en compte la théologie (l’étude de toute la Bible) et les traditions de l’Église (ce qui a été cru par les chrétiens des siècles passés). Ces influences peuvent être bénéfiques mais elles peuvent aussi conduire à des erreurs dans l’interprétation des textes. Ainsi, dans les deux cas, nous devons rester prudents.
Pour autant, le risque d’erreurs dans l’interprétation ne doit pas nous rendre pessimistes. La science et la lecture de la Bible sont loin d’être des causes perdues. Des savants comme Albert Einstein affirmaient que Dieu nous a dotés d’une intelligence telle que nous sommes capables d’observer et comprendre les mécanismes de la nature. En outre, la communauté scientifique internationale est très diverse, si bien que l’influence d’une vision du monde particulière est minimisée. Quant à la Bible, son message essentiel est clair et compréhensible pour tous (voir le vol.2, ch.6 et 7). Pour les passages où le sens n’est pas évident, il existe des principes d’interprétation qui peuvent servir de guides. Nous n’avons donc pas à abandonner l’étude de la nature ou de la Bible à cause des difficultés. Mais quand les deux semblent en opposition, la stratégie que nous devons adopter, c’est approfondir notre étude des deux côtés.
Quand la science et la Bible semblent se contredire
Prenons pour exemple le conflit entre la théorie du Big-bang et une interprétation littérale des premiers chapitres de la Bible. La première donne à l’univers un âge d’environ 13 milliards d’années, la seconde voit une création de l’univers dans son état actuel en six jours de vingt-quatre heures. Quelle démarche devons-nous adopter ? On aurait tort de supposer d’office que l’interprétation scientifique est juste, et que la Bible ne dit pas vrai. De même, on aurait tort de dire que les données scientifiques sont nécessairement fausses, parce que la Bible est la Parole de Dieu et donc sans erreur. Sur quelles observations la théorie du Big-bang s’appuie-t-elle ? Est-ce un modèle parmi d’autres ? Quel est le pourcentage de scientifiques concernés qui y adhèrent ? Y a-t-il des présupposés à cette théorie ? Si oui, lesquels ? Comment arrive-t-on au chiffre de 13 milliards d’années ? En face, l’interprétation littérale du premier chapitre de la Genèse est-elle la seule proposée ? Quels sont ses mérites et ses faiblesses ? Qui a soutenu cette lecture dans l’histoire de l’Église ? Y a-t-il d’autres passages bibliques qui éclairent le début de la Genèse ? Quels sont les présupposés théologiques derrière l’idée d’une création récente ? Y a-t-il des textes similaires parmi les cultures de l’époque qui permettent une comparaison ?
Si nous trouvons des réponses à ces questions, nous serons mieux armés pour évaluer la nature du conflit apparent, voire identifier sa cause. En l’occurrence, la théorie du Big-bang est acceptée par la vaste majorité des scientifiques, mais ne fait pas l’unanimité. Cependant la plupart s’accordent pour dire que l’univers date de plusieurs milliards d’années. La lecture littérale du début de la Bible, d’autre part, est loin d’être la seule proposée par les théologiens. Un bon nombre d’entre eux pensent que le récit de la Création en six jours est une présentation « littéraire », une sorte de poème ordonné, sans prétention chronologique. Dans ce cas il n’y pas de contradiction avec le discours des scientifiques.
Conclusion
Julie ne trouvera donc pas dans la Bible un système solaire avec six planètes. Si la Bible dit vrai, Dieu, son auteur, est le garant d’un accord parfait entre ce qu’elle dit et le monde naturel. Cependant, la science et la lecture de la Bible demandent toutes les deux une interprétation et nous ne devons donc pas conclure précipitamment à partir de toute contradiction apparente qu’il y a une contradiction réelle. Il se peut que la source de l’erreur se situe plutôt entre nos oreilles…