I. LES PRINCIPALES POSITIONS THÉOLOGIQUES
Que l'on tienne compte des positions des chrétiens des différentes confessions ou que l'on se limite à celles des seuls évangéliques, on constate une grande diversité de points de vue et de convictions sur cette question. Schématiquement, on peut les répartir en trois catégories auxquelles nous donnerons par souci de commodité les noms de « position contre » (PC), « position pour » (PP) et « position pour conditionnelle » (PPC). Voici en quoi elles consistent :
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La position contre : sans remettre en cause l'égale dignité dont jouit la femme (Gn 1.26s), ni ses capacités, les tenants de cette position s'opposent totalement à ce qu'une femme exerce un ministère de type pastoral (pasteur ou ancien), lequel est réservé aux hommes. Généralement, l'argument central est la compréhension hiérarchisée du rapport homme-femme : le principe d'autorité a été conféré aux hommes par le Créateur (1 Co 11.3ss ; Ép 5.21ss ; 1 Tm 2.8-15). Ce principe reste valable dans l'Église. Les partisans de cette position estiment également que le désir de rendre ces ministères accessibles aux femmes est largement influencé par l’air du temps et manifeste un manque de distance critique par rapport à la culture ambiante.
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La position pour : ceux qui la défendent sont pour l'accès des femmes aux ministères de direction
au même titre que les hommes. Leur interprétation des textes bibliques les amène à conclure que rien ne s'y oppose, bien au contraire. De plus, ils ont la conviction que le Seigneur a appelé au cours de l’histoire et appelle aujourd’hui encore des femmes à ce type de ministère.
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La position pour conditionnelle : les partisans de cette position estiment, comme les partisans de la PC, que les ministères de direction doivent être remplis par des hommes. Cependant, à la différence des ceux-ci, ils pensent légitime l'exercice de ministères d’enseignement et de direction par des femmes, soit
sous certaines conditions, soit
à titre extraordinaire. Pour illustrer cette position plus complexe, voici les points de vue de deux théologiens évangéliques :
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John Stott plaide pour la participation de femmes au ministère pastoral et à la direction
collégiale de l'Église, de telle sorte qu'elles puissent exercer tous leurs dons, notamment celui d'enseignement. Mais cet exercice est assortie de la condition suivante : que ces femmes soient intégrées à une équipe pastorale à la tête de laquelle se trouve un homme.
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-
Henri Blocher : selon lui, le régime « ordinaire » réserve à des hommes les ministères de direction dans l'Église. Cependant, Dieu demeure libre de susciter des régimes « extraordinaires », selon le nombre qu'il veut. Débora (pour l'Ancien Testament) et Priscille (pour le Nouveau Testament) en sont des exemples. Comment discerner dans la pratique ces ministères « extraordinaires » ? Il faut utiliser les mêmes critères que ceux qui valent pour le discernement de toute vocation : par les dons que la personne manifeste. L'Église reconnaît un ministère car la personne est apte à le remplir et montre les dons voulus pour cela.
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II. LES ARGUMENTS EN PRÉSENCE
1) Les textes bibliques et leurs interprétations
Quelle que soit la position défendue, tous se réclament de l'enseignement biblique. C'est bien évidemment là le cœur de la question. Il convient donc de rendre compte, succinctement, des principaux textes auxquels les uns et les autres ont recours et des interprétations qui en sont faites.
1.1. L'attitude de Jésus envers les femmes et le choix des Douze
À tout Seigneur, tout honneur, commençons par les arguments tirés de l'attitude de Jésus. Presque tous s'accordent à reconnaître le caractère « révolutionnaire » du comportement de Jésus envers les femmes. Alors qu'elles étaient reléguées à un rang inférieur aussi bien sur le plan social que religieux, Jésus les traite avec dignité et respect, parle publiquement avec elles, notamment de questions religieuses (Jn 4 ; Lc 7), répond à leurs détresses, affirme l'égalité des droits et des devoirs de l'homme et de la femme face aux liens du mariage (Mc 10.1-12). En son ministère itinérant, il se fait accompagner non seulement par les Douze, mais également par un groupe de femmes (Lc 8.2-3). Bien plus, alors que les mentalités de l'époque n'accordaient guère de crédit au témoignage des femmes, Jésus ressuscité se révèle
en premier à elles et les charge de porter la nouvelle de sa résurrection aux Onze et aux disciples (Mt 28.1-9 ; Lc 24.1-12 ; Jn 20.1-18).
Pourtant, Jésus n'a pas choisi de femmes parmi les Douze. Faut-il en tirer un enseignement ?
PC - Le fait que Jésus, qui a su se démarquer des conventions de son temps dans son rapport aux femmes, n'a pas désigné de femmes parmi les Douze est significatif (argument important dans les textes officiels catholiques). Ensuite, ceux-ci n’ont confié le service de la Parole et de la direction des Églises qu’à des hommes (anciens/épiscopes). Cela indique que le ministère de conducteur (au contraire de celui de diacre, puisque selon Rm 16.1 et sans doute 1 Tm 3.11, il y avait des femmes diacres) est réservé aux hommes. Comme l’écrit Paul Wells, « Dieu est un Dieu d’ordre, qui a institué des structures pour la vie sociale de son peuple ; celui-ci devrait aimer les respecter »
(3). Tout l’enseignement biblique indique que les détenteurs de l’autorité (chefs de famille, prêtres dans l’ancienne alliance et pasteurs dans la nouvelle) sont des hommes.
PP - Il ne faut pas demander à un texte de répondre à une question qu'il n'aborde pas. En raisonnant d'une manière similaire, on pourrait tirer aussi une autre conclusion : Jésus n'a choisi que des hommes
juifs (il aurait pu choisir un « craignant Dieu »), donc son Église ne doit être dirigée que par des chrétiens juifs ! Certains commentateurs avancent un autre argument (plus complexe) : le choix des Douze avait une portée éminemment symbolique pour Israël. Ainsi, le théologien catholique Hervé Legrand écrit :
« Au temps de Jésus, il n'y avait que deux tribus et demie, or les temps eschatologiques [c'est-à-dire de la fin] devaient voir la recomposition du peuple dans l'unité. Dès lors, en choisissant douze hommes, Jésus annonce que les temps eschatologiques se font proches, qu'il vient rassembler tout Israël (i.e. les douze tribus) et que tout le peuple sera jugé sur sa parole. Ainsi les Douze seront-ils les juges eschatologiques comme les douze fils de Jacob (cf. Mt 19.28). La portée du geste eût été immédiatement annulée si Jésus avait inclus dans le groupe une femme ou de même un Samaritain »
(4). D'où sa conclusion un peu plus loin : « De l'absence de femmes dans le groupe des Douze, on ne peut tirer aucune conclusion valide quant aux intentions du Christ relatives à la présence ou à l'absence de femmes dans les ministères de l'Église ».
1.2 La pratique et l'enseignement de l'Église primitive
Le débat sur les ministères féminins se restreint, trop souvent et illégitimement, à l'interprétation de deux ou trois textes du Nouveau Testament (généralement 1 Co 11.2-16 ; 1 Co 14.33b-36 et 1 Tm 2.9-15). D'autres textes doivent être « appelés à la barre ». Mentionnons d'abord les textes qui évoquent
l'activité de certaines chrétiennes. Ces textes laissent entendre que le nombre de femmes à l'œuvre est important. Sans être exhaustifs, on peut citer les faits suivants :
- les quatre filles célibataires de l'évangéliste Philippe « qui prophétisaient » (Ac 21.9 ; cf. 1 Co 11.5 où Paul envisage que les femmes prophétisent dans l'Église).
- les nombreuses collaboratrices de l'apôtre Paul, dont certaines sont mentionnées dans ses lettres:
- Phoebé qualifiée de « diaconesse » ou « ministre » (le même mot grec diakonos est traduit par l'un ou l'autre mot suivant le contexte) de l'Église de Cenchrées et de « protectrice » de beaucoup (Rm 16.1-2).
- Priscille (ou Prisca) mentionnée, à quatre reprises dans le Nouveau Testament, avec son mari, Aquilas, et chose surprenante, à trois reprises avant son mari, ce qui laisse supposer le rôle important qu'elle occupait dans l'Église. Paul les nomme « mes compagnons d'œuvre en Jésus-Christ » (Rm 16.3 ; on peut aussi traduire « mes collaborateurs » ; cf. v. 21 où Timothée reçoit le même qualificatif) ; il loue leur ministère courageux (v. 4). Le livre des Actes relate que Priscille et Aquilas prirent à part Apollos et « lui exposèrent plus exactement la voie de Dieu » (Ac 18.26).
- d'autres femmes sont mentionnées dans ce même chapitre 16 de l'épître aux Romains (Marie, « Tryphène et Tryphose, elles qui prennent de la peine pour le Seigneur », etc.). Le verset 7 mentionne (très probablement) un couple, Andronicus et Junias, en parenté avec Paul et qui ont connu comme lui l'emprisonnement. Ce qu'en dit l'apôtre peut être traduit de deux façons : soit il les qualifie de « très estimés parmi les apôtres » (traduction de la Bible à la Colombe), soit (ce qui semble être une traduction plus exacte) d'« apôtres remarquables » (traduction de la Bible du Semeur et de la TOB), le terme d'apôtre étant alors employé dans un sens large. Quoi qu'il en soit, ce couple, actif dans le ministère de l'Évangile, est honoré par Paul.
- dans sa lettre aux Philippiens, Paul mentionne ses deux collaboratrices Évodie et Syntyche « qui ont combattu côte à côte avec moi pour l'Évangile » (4.2-3)
(5).
PP - Tous ces textes attestent du rôle actif et important des femmes dans l'Église primitive, notamment dans l'exercice du ministère de la Parole. Cet état de fait est légitime, car sous la nouvelle alliance :
- en Jésus-Christ, les femmes comme les hommes sont au bénéfice de la même grâce, jouissent d'un même statut. Ce que Paul affirme avec force : « Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ : vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ. » (Ga 3.26-28). Les barrières traditionnelles, sources de discriminations, n'ont plus lieu d'être.
- l'effusion de l'Esprit – qui caractérise la nouvelle alliance en Jésus-Christ – est pour tous, hommes et femmes, selon la parole du prophète Joël, dont Pierre atteste l'accomplissement à la Pentecôte : « Dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai mon Esprit sur toute chair ; vos filles et vos filles prophétiseront... Oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes, dans ces jours-là, je répandrai mon Esprit ; et ils prophétiseront. » (Ac 2.17-18).
PPC - John Stott fait le commentaire suivant d’Actes 2.17 :
« Or, si l'Esprit a été donné à tous les croyants des deux sexes, il en a été de même de ses dons. Rien ne prouve ni même ne suggère, que les
charismata aient été réservés aux hommes. Au contraire, les dons de l'Esprit sont distribués à tous pour l'utilité commune (1 Co 12.4ss). Ainsi, le Christ ne donne pas seulement les charismes (y compris celui d'enseignement) aux femmes, mais il les appelle à les exercer et à les développer à son service, et au service des autres, pour l'édification de son corps. »
(6)PC - Ces femmes chrétiennes décrites par ces textes n'exercent pas de ministères d'autorité (pasteur ou ancien). La nouvelle alliance n'annule pas l'ordre créationnel et notamment le principe d'autorité conféré aux hommes. Paul Wells écrit :
« Les noms de Marie, Débora, Priscille, etc. sont souvent évoqués pour montrer les dons et les qualités des femmes. Qui les conteste ? Le problème du Ministère Pastoral Féminin est-il réellement un problème de compétence et de capacité ? Non, car il est certain que bien des femmes sont beaucoup plus capables d’enseigner, par exemple, que beaucoup d’hommes ».
(7) Le problème est plutôt celui de l’exercice de l’autorité dans l'Église. Or, Paul est clair à ce sujet : la femme ne peut pas exercer l’autorité sur l’homme (1 Co 11.3-16 ; 14.34-35 ; Ép 5.22, 1 Tm 2.11-15).
Cela étant souligné, il faut en venir aux
textes pauliniens si souvent invoqués comme arguments contre les ministères féminins.
1.3 Les textes de l’apôtre Paul(8)
• 1 Corinthiens 14.33b-36Instruisant les Corinthiens sur les dons spirituels et leur juste exercice au sein de la communauté, Paul en vient tout naturellement à aborder la question du culte et de son bon déroulement. Ici, comme sur bien d'autres sujets, il doit reprendre cette jeune Église de Corinthe, encore largement marquée par les pratiques en vigueur dans les cultes païens. Le double souci de l'édification de la communauté (v. 26) et du bon déroulement du culte (« Que tout se fasse convenablement et avec ordre » - v. 40) se situe à l'arrière-plan des propos de Paul. Quelles sont les interprétations de ces versets qui ordonnent aux femmes de se taire dans les assemblées ?
PPC+PP - Le contexte est particulièrement souligné : la grande cité de Corinthe était le lieu de multiples cultes païens, marqués par des comportement désordonnés, voire extatiques (ces cultes pouvaient s'accompagner de cris frénétiques, de femmes en particulier). Dans ce contexte, les Corinthiennes converties faisaient preuve d'un comportement qui perturbait le culte chrétien. Ainsi, Stott écrit :
« Il est donc fort possible, comme le proposent certains exégètes, que Paul invite tout simplement les femmes trop bavardes à se “taire dans les assemblées” et à interroger leur mari à la maison si elles ont des questions (v. 34-35), comme il demande à ceux qui parlent en langue “de se taire” s'il n'y a pas d'interprète (v. 28) ou au prophète de le faire, si un autre assistant a une révélation (v. 30). Car tel est le principe qui doit gouverner tout comportement dans l'Église : “Dieu n'est pas un Dieu de désordre, mais de paix” (v. 33). De toute manière, l'apôtre n'interdit certainement pas toute prise de parole des femmes dans l'Église : trois chapitres plus tôt, il a mentionné leurs prières et leurs prophéties (11.5), et il permet à “chacun”, et non seulement aux hommes, de participer au culte de l'Église par un “cantique, une instruction, une révélation, une langue ou une interprétation” en 1 Corinthiens 14.26 »
(9).
D’autres estiment que Paul, dans les v. 33b-35, cite (comme il le fait à plusieurs reprises dans cette épître – cf. 6.12 ; 7.1 ; 8.1, etc.) des opposants (probablement judaïsants) qui prônent l’imposition aux femmes chrétiennes des mêmes interdits que ceux en vigueur dans la synagogue
(10). D’autres encore soutiennent que ce passage n’appartient au texte original, mais a été ajouté par la suite
(11). Cela permet d’expliquer la contradiction entre cette parole et celle du v. 11.5.
PC - Le contexte n'explique pas tout car Paul fait référence, d'une part, à la Loi de l'Ancien Testament et à l'ordre créationnel qu'elle édicte (Gn 2.21ss ou Gn 3.16 ? Cf. 1 Co 11.3ss et 1 Tm 2.13-14), et d'autre part, à la pratique de « toutes les Églises des saints » pour fonder l'ordre qu'il donne aux femmes de se taire. En outre, Paul éprouve le besoin de préciser que ce qu’il écrit aux Corinthiens est un commandement du Seigneur (v. 37). Comment résoudre la tension, voire la contradiction, avec ce que dit Paul en 1 Co 11.5 (autorisation de prophétiser) ? Différentes solutions sont proposées : les femmes sont autorisées à prendre la parole en privé, mais pas en public ; elles peuvent parler sous l'influence de l'Esprit, mais pas enseigner, ou se prononcer sur les prophéties entendues. Car ce serait là prendre une position d’autorité.
• 1 Timothée 2.8-15Ce texte, qui possède des similitudes avec le précédent (il aborde la question du bon déroulement du culte et édicte certaines interdictions envers les femmes) n'est pas facile à interpréter. Ceux qui voudraient résolument s'en tenir à la lettre s'exposerait à de gros obstacles : qui oserait soutenir que Paul ordonne aux hommes de toujours lever les mains vers le ciel lorsqu'ils prient (v. 8), ou qu'une femme ne peut être sauvée qu'en devenant mère (v. 15) ? ! La situation particulière de l'Église d'Éphèse explique (au moins en partie) les propos de l'apôtre. Il est clair que l'Église doit faire face au venin subtil et néfaste de faux docteurs (cf. 1.3-7 ; 4.1-3 ; 6.3-5, 20). La question est de savoir
jusqu'à quel point ces propos de Paul sont circonstanciels.
PC - S'il faut tenir compte du contexte particulier, il faut aussi tenir compte du fait que Paul fonde ses propos sur Genèse 2 et 3 qui ont trait respectivement à l'ordre créationnel et à l'événement de la « chute ». Ce qui confère aux propos de Paul une valeur permanente et non pas seulement circonstancielle. La femme ne peut enseigner ni prendre autorité sur l'homme (donc exercer un ministère d'autorité) en raison de cet ordre créationnel entre l'homme et la femme, institué par le Créateur (cf. 1 Co 11.3).
PPC - John Stott suit une voie médiane : la situation particulière de l'Église d'Éphèse est à prendre en compte, mais l'instruction de l'apôtre a un caractère plus général… qui cependant n'interdit pas forcément l'exercice de ministères féminins. Car il faut tenir compte des deux antithèses utilisées par Paul au v. 12 : 1. s'instruire en silence/enseigner ; 2. avec une entière soumission/prendre autorité. La deuxième est l'antithèse fondamentale (qui reprend l'enseignement constant de Paul sur la soumission de la femme et le rôle de tête de l'homme), tandis que la première est une expression de la seconde. Ainsi Stott estime que si l'ordre créationnel entre l'homme et la femme a une valeur permanente, par contre l'interdiction d'enseigner (comme l'exigence du port du voile en 1 Co 11) constitue une expression culturelle, conforme aux pratiques du 1er siècle.
PP - D'autres vont plus loin développant, à la lumière de la situation particulière, une autre interprétation. Des femmes de l'Église, séduites par de faux-docteurs ont répandu un enseignement selon lequel tout ce qui relève du corps (opposé à l’esprit) est néfaste (cf. 4.3). D’où le condamnation du mariage et de la procréation. Elles justifient leur droit à enseigner en se fondant sur une connaissance supérieure qu’elles auraient reçue, à l’exemple d’Ève qui, la première, a mangé le fruit de la connaissance. On comprend mieux les propos de Paul, sa condamnation sévère d'Ève et la référence à la maternité de la femme (et plus loin dans l’épître sa défense du mariage (4.1-3) et son affirmation de la bonté de la création – 4.4 et 6.17). C’est dans ce contexte que Paul demande aux femmes de se tenir « tranquilles » (même terme qu’au v. 2), et leur interdit d’enseigner et de vouloir « dominer », « s'imposer » (ou encore « agir comme des êtres indépendants » ; le verbe grec, employé seulement ici dans le Nouveau Testament, est susceptible de différentes traductions). Qu’elles se laissent d’abord instruire, avec humilité, au lieu de prétendre assumer l’autorité d’enseignants reconnus ; elles pourront ensuite, si le Seigneur les y appelle, instruire la communauté. Paul ne légifère donc pas pour toutes les Églises de tous les siècles
(12).
1.4 Bilan
Nous constatons donc que ces différents textes du Nouveau Testament font l'objet d'interprétations divergentes qui entraînent l'adoption de diverses positions concernant les ministères féminins.
Il faut savoir que les passages mentionnés ci-dessus, ainsi que celui de 1 Co 11.1-16, comportent de grandes difficultés de compréhension ; les exégètes (spécialistes de l’étude des textes bibliques) sont loin d’être unanimes dans leur interprétation (même lorsqu’il partagent la même opinion sur les ministères féminins !). Deux exemples suffiront à le montrer :
- se pose la question de savoir ce que Paul vise précisément lorsqu’il emploie le verbe « parler » (lalein, en grec) en 1 Co 14.35 : veut-il dire « prêcher », « parler en langues », « bavarder », « enseigner », « se prononcer sur une prophétie », « prier », « prophétiser » (mais alors 1 Co 11.4-5 ?) ou tout cela à la fois ?
- en 1 Tm 2.15 comment comprendre la phrase « elle sera sauvée par la maternité » ? Et quel rapport cette affirmation a-t-elle avec le reste du passage ?
Cela doit nous inviter à la prudence dans l’application des données néotestamentaires à la vie des Églises d’aujourd'hui. Comme l’écrit un théologien évangélique à propos de 1 Tm 2. 11-12, « Comment mettre ce texte en pratique si nous ne pouvons être sûrs de ce qu’il signifie ? ». Les enseignements que nous donne le Nouveau Testament sont fragmentaires, et semblent parfois même contradictoires. Nous y voyons des Églises en gestation, cherchant à répondre à des besoins sous la direction de l’Esprit, mais nous n’y trouvons pas un modèle unique et contraignant d’organisation ecclésiastique. Si Dieu est un Dieu d’ordre, il n’impose pas un ordre immuable. Il éclaire et dirige son peuple pour l’aider à vivre dans la fidélité selon l’Esprit et non selon la lettre.
Il est également utile de signaler que nos traductions de la Bible font parfois pencher (involontairement le plus souvent) la compréhension des lecteurs dans un sens non conforme à l’intention des auteurs, par exemple, en traduisant le mot grec « anthrôpos » – qui désigne l’être humain, aussi bien la femme que l’homme – par « homme » (qui exclut les femmes) : c’est le cas en 2 Tm 2.2 et 3.17.
Ces remarques étant faites, on peut proposer le bilan suivant :
-
Les partisans de la position contre soutiennent généralement que leur position se fondent sur le témoignage de toute la Bible concernant le rapport homme-femme qui y est enseigné et décrit : selon l'ordre créationnel, c’est à l'homme qu’a été confié l’exercice de l'autorité. Les textes pauliniens (1 Co 11 ; 1 Co 14 et 1 Tm 2 ; cf. aussi 1 Tm 3 et Tt 1.5-9) constituent des applications concrètes relatives aux ministères de ce principe général (le rapport hiérarchisé homme-femme). Il leur est cependant plus difficile d’interpréter les données du Nouveau Testament qui, apparemment du moins, attestent l'exercice de ministères de direction et d’enseignement par des femmes. Ces ministères féminins mentionnées sont interprétés généralement comme étant soit des ministères charismatiques (et non pas institutionnels), soit privés.
- De leur côté,
les partisans de la position pour mettent l'accent d’une part sur les textes qui évoquent les chrétiennes engagées activement au service de Évangile, et d’autre part sur ceux qui soulignent l'accès à la même grâce, le partage du même statut « en Christ » et le fait que les femmes comme les hommes ont part au même Esprit. Quant à leur interprétation des textes pauliniens, elle est autre que celle des partisans de PC. Mais ne fait-elle pas la part trop belle aux éléments contextuels ?
-
Les partisans de la position pour conditionnelle, quant à eux, optent pour une voie intermédiaire qui a le souci (et le mérite) de proposer une autre solution afin de faire vraiment justice aux diverses données scripturaires sur la question. Ils se veulent attentifs à la fois au principe du rapport hiérarchisé homme-femme, qu’ils estiment bibliques, aux contextes culturels, et à l’exercice par les femmes des dons qu’elles ont reçus. Mais, beaucoup ne sont pas convaincus par une telle position médiane : non aux ministères « ordinaires », mais oui aux ministères « extraordinaires » ; non à l'autorité de la femme sur l'homme, mais oui à des ministères d'enseignement et de direction au sein d'une collégialité et sous l'autorité d'un homme.
2) Autres arguments avancés
2.1. Arguments et contre-arguments avancés par les partisans de PC :
- Les partisans de PP et PPC se laissent bien trop influencés par la culture ambiante, par la mentalité occidentale qui nivelle les différences et prône, dans quasiment toutes les fonctions sociales, la parité hommes-femmes. Or, Évangile appelle les chrétiens à ne pas se conformer au monde présent (Rm 12.2), mais au contraire à lui résister.
- Jusqu’à récemment la pratique universelle de l'Église a été de ne confier qu’à des hommes les ministères de direction et d’enseignement, suivant en cela la pratique tant de l’Ancien Testament (les chefs de famille (anciens) et les prêtres étaient des hommes) et celle de Jésus et des apôtres.
- La situation nouvelle « en Christ » (Ga 3.26-28), qui octroie aux croyants (hommes et femmes) de nombreux bienfaits et le même statut, n’abolit cependant pas les distinctions sexuelles, ni les rôles impartis à chaque sexe.
- L’accès des femmes aux ministères de direction et d’enseignement favorisent l’uniformisation des rôles, alors que hommes et femmes sont appelés à des rôles différents et complémentaires en vue du bien de tous, et notamment en vue de la croissance spirituelle des chrétiens.
(13)- L’accès des femmes au ministère pastoral peut entraîner une minoration de la dimension d’autorité de ce ministère en raison de la compréhension et de la pratique qu’en ont, en général, celles-ci.
(14) 2.2. Arguments et contre-arguments avancés par les partisans de PP (et dans une certaine mesure par ceux de PPC) :
- Concernant le rapport entre l'enseignement et l'autorité de l'enseignant, il faut prendre en considération les trois éléments suivants : 1. notre situation n'est pas la même que celle du 1er siècle : alors qu'au 1er siècle, aucune institution ne pouvait servir de référent à une personne qui parlait, aujourd'hui, le canon des Écritures est fixé, et tout enseignant se situe dans une certaine tradition théologique (confessions de foi de son Église, etc.) ; 2. dans une perspective chrétienne, l'enseignement ne repose pas sur le genre masculin, mais sur l'autorité de l'Écriture ; 3. dans une compréhension professante de l'Église (qui est celle des Églises baptistes), l'autorité ne repose pas uniquement entre les mains de ceux qui exercent un ministère de direction et d’enseignement. Les responsables exercent leur ministère
au sein de leur Église locale et de leur Union d'Églises, et en communion avec elles. En effet, le Nouveau Testament enseigne clairement la légitimité de la participation de l'Église
entière à la prise de décision (Ac 6.2-3 ; 11.29-30 ; 14.23 ; 15.22). Cet enseignement est fondé sur le sacerdoce commun (« universel ») des croyants qui ont tous part à l’Esprit (1 Co 12.7 ; 1 P 2.9-10 ; 4.10)
(15).
- La distinction entre enseignement/ministères publics et privés ne semble pas pertinente dans le contexte de l'Église primitive fonctionnant essentiellement en réunions de maison.
- Refuser aux femmes ces ministères d'enseignement et de direction, c’est priver l'Église et la société de leur apport spécifique, qui s’avère complémentaire de celui des hommes : elles exercent ces ministères en tant que femmes, avec leur sensibilité propre, en mettant généralement l’accent sur les dimensions relationnelles, d’accompagnement et d’écoute
(16). Refuser aux femmes ces ministères, c’est aussi empêcher des chrétiennes appelées et équipées par le Seigneur d’accomplir leur vocation. L’histoire atteste que des femmes ont exercé des ministères remarquables, très fructueux.
(17)- Si prôner l'exercice des ministères féminins peut-être le fruit d’une influence de la culture ambiante (et du féminisme en particulier), s'y opposer peut tout autant être le fait d’une influence étrangère à Évangile : celle (certes inconsciente) de l'androcentrisme, voire du machisme, qui imprègne l'histoire de l'humanité depuis ses débuts.
- Les partisans de PC devrait être cohérents jusqu’au bout en prônant que la femme chrétienne ne devrait occuper
aucune position de responsabilité dans la société (donc professionnelle) qui la placerait dans une position de supériorité hiérarchique par rapport à un homme.
- Le Dieu de la Bible est Celui qui intervient régulièrement pour parler à la place de ceux que l'on bâillonne, ou pour rendre la parole à ceux qui en étaient privés. La fameuse prophétie de Joël accomplie lors de la Pentecôte (Ac 2.17s) n'énonce-t-elle pas cela ?
- L’opposition aux ministères féminins, incompréhensible pour la plupart de nos contemporains, constitue un obstacle au témoignage de l'Évangile dans notre société.