9 décembre 1899. Jean de Brunhoff
Jean de Brunhoff (18899-1937) est né le 9 décembre 1899, à Paris. C'est un auteur-illustrateur, créateur de BABAR.
Jean de Brunhoff est mondialement connu pour sa création du personnage de BABAR, dont le premier titre parut au Jardin des modes en 1931. Cette création marque un tournant dans le rapport image-texte et dans l'évolution des modes de représentations du livre pour enfants. C'est le début de l'album moderne. Suivront ensuite sous le nom de Jean de Brunhoff cinq albums, imprimés sur beau papier, dans un grand format. Après la mort de l'auteur , les sept premiers albums connurent de multiples rééditions, toutes tronquées, l'éditeur (Hachette) voulant faire tenir en 30 pages le contenu d'albums qui à l'origine en comptaient 48. Ce n'est que récemment que BABAR a retrouvé son authenticité avec la publication en fac-similé des éditions originales.
Babar est le résultat d'une situation familiale : Laurent de Brunhoff raconte qu'un soir sa mère lui raconta, à lui et son frère, l'histoire d'un petit éléphant qui s'enfuit pour échapper au chasseur et arrive en ville ; l'idée vint alors à Jean de Brunhoff de s'amuser à illustrer cette petite histoire. L'ouvrage a ainsi pour origine un authentique dialogue entre les adultes et les enfants. Le caractère privée de la relation explique le choix de la représentation anthropomorphique. C'est le charme d'un album de famille.
Lorsqu'il devient nécessaire de relancer l'histoire, Jean de Brunhoff emprunte, à des schémas préexistants, les péripéties d'un voyage en ballon ou au centre de la terre, à la façon de Jules Verne. Ainsi, les aventures de Babar, aussi communes soient-elles, sont ancrées dans une double réalité : celle, intime, participant de la vie personnelle de l'artiste, et celle, littéraire, participant de la vie culturelle de son époque.
Citation : La politique selon Babar, François Sureau, La Croix, 4 octobre 2016.
L’incipit de l’Histoire de Babar (1931) prend rang parmi les plus beaux de toute la littérature, aux côtés de ceux de La Recherche et de Robinson Crusoé :
« Dans la grande forêt, un petit éléphant est né. Il s’appelle Babar. Sa maman l’aime beaucoup. »
Comme les autres grands débuts d’ailleurs, sa portée, sa beauté n’apparaissent pas à la première lecture, mais à la seconde. C’est lorsqu’on sait que la mère du petit éléphant va mourir que cette première page se charge d’une insoutenable angoisse et l’incipit d’une protestation radicale contre l’ordre des choses.
C’est ici que naît la politique du roi Babar, dans le désir, né d’un indépassable chagrin, d’une organisation du monde qui en assure le bonheur. Babar est le fils de Hobbes. Plus tard, il bâtira la cité dans le souvenir du chaos, de la douleur originelle, dont les forces demeurent à jamais menaçantes. Sa chance viendra, à cet égard, de la pureté de son peuple pachydermique, que le mal n’atteint pas. À l’instar des Guaranis et des Navajos, les éléphants sont purs.
Le trouble vient de l’extérieur : hommes, rhinocéros, modernité. Ce n’est pas à dire pourtant qu’ils ressembleraient à des Allemands nazis. Les Allemands de cette époque ont vu la pureté allemande rongée de l’intérieur par des éléments allogènes par nature inassimilables, Juifs d’abord, Tsiganes ensuite, voire homosexuels. Au contraire le peuple des éléphants n’est-il jamais mis en péril par les espèces qui vivent au milieu de lui, oiseaux, singes, et girafes, qu’il n’assimile pas, mais auxquelles il étend les bienfaits de sa supériorité morale, les civilisant par contagion. Ainsi les aventures de Babar sont-elles la chanson de geste d’une ethnie irréductible, inassimilable autant qu’inassimilante, et dont le destin est de manifester la supériorité intrinsèque d’une existence que rien de négatif n’affecte ni ne définit.
Commencées en 1931, elles présentent ce caractère d’un témoignage de haute civilisation dont les années qui vont suivre révéleront la valeur éclatante.
En même temps, ce témoignage reste indiscutablement français. L’éléphant est gaulois, à la fois moderne et daté, naturel et culturel, libre et soviétique, égalitaire et aristocratique.
L’administration pachydermique organise toute la vie : « Le palais du travail est à côté du palais des fêtes, ce qui est bien commode » (La Fête à Célesteville, 1954).
L’éducation nationale est au centre de la vie sociale : les éléphants vont en classe, et ceux « qui sont trop vieux pour aller en classe ont tous choisi un métier », puisque aussi bien il n’y a aucun rapport entre l’instruction et la vie réelle.
Chacun a, en effet, choisi selon ses désirs, Hatchibombotar le balayeur, Pilophage le soldat, Doulamor le musicien. Tous sont représentés avec leurs instruments, sauf le médecin, Capoulosse, et le savant, Fandago, qui, portent lunettes et décorations. La monnaie enfin n’a pas cours. C’est l’empire du troc. Le royaume de Babar, c’est une Nuit debout sans acrimonie où l’autorité n’est nulle part puisqu’elle est partout. Il est là, le rêve français. Réconcilions-nous avec nous-mêmes.
Je vous recommande de méditer soigneusement ce chef-d’œuvre qu’est Babar et le Père Noël. Il n’y a pas de plus sûr viatique. Les gouvernés y apprendront la patience. Les gouvernants y trouveront un manuel dont la portée passe à l’évidence celle des mesquins écrits de Machiavel. Tout à sa quête du bonheur à la fois matériel et spirituel qu’il destine à son peuple, le roi Babar ne se laisse décourager par aucune des fausses pistes qu’il est amené à suivre. Des souris, des savants, des illusions le trompent. Il n’en a cure. Et à la fin, il prend le Père Noël pour ce qu’il peut donner, ne se soumet pas à lui, ne lui fait pas allégeance, mais se l’incorpore, dans un mouvement qui est celui de la souveraineté même. Le roi Babar est le principe, la voie et la fin. La légende de Babar devrait nous rendre plus intelligents.