4 juillet 2001. Peder Balke, interlocuteur de Louis-Philippe
Peintre de paysages norvégiens, Peder Balke (1804-1887) est peu connu à l'étranger, et particulièrement en France, du moins jusqu'au 4 juillet 2001, date à laquelle l'Aile Rohan du Musée du Louvre ouvrit ses portes sur une nouvelle exposition comprenant entre autres 28 tableaux de Peder Balke, peints ou du moins finis à Paris en 1847.
Peder Balke est originaire du sud de la Norvège, mais il a passé l'été 1832 dans le nord de son pays (de Trondheim au Cap Nord) et en a rapporté de nombreuses esquisses qu'il exploita le reste de sa vie. Il semble que Balke, en arrivant à Paris avec sa famille en 1846-1847, avait déjà en tête une idée bien définie: vendre au roi Louis-Philippe une série de tableaux sur la Norvège. Balke savait que Louis-Philippe avait, à l’âge de 22 ans, voyagé en Norvège. Il avait même été le premier Français à gagner le cap Nord et en avait gardé une certaine fierté puisque, devenu roi, il avait envoyé une frégate porter sur les lieux son buste en bronze !
Balke écrivit lui-même la lettre suivante, traduite en français par des amis résidant à Paris:
A Sa Majesté Louis-Philippe, Roi des Français Daignez écouter Sire, ce qu'un peintre étranger expose à Votre Majesté. [...] Comme norvégien, je me suis appliqué surtout à peindre des vues et des paysages de mon pays montagneux, pays qui offre tant de scènes de grandeur et de désert. J'ai trouvé un intérêt particulier à parcourir le Nordland et le Finmarck, provinces les plus septentrionales de ma patrie, pour que l'art en puisse profiter, là où les îles, les rochers et les écueils avec leurs sauvages nudités, en conflit avec la mer, étonnent au même degré le studieux peintre et le voyageur épouvanté. C'est dans ces lieux où l'on prononce le nom de Votre Majesté avec vénération et avec intérêt pour un peuple à moitié sauvage mais honnête et bien pensant, qui ne pouvait prévoir il y a un demi siècle que le modeste voyageur qui se trouvait parmi eux et qui, par ses bontés, gagna leur estime et respect, et leur amour, était destiné à la suite, à monter sur un des plus brillants des trônes. Je demande mille pardons à Votre Majesté que j'ose mentionner ce temps qui n'est plus mais qui était si riche en douleurs; je le fais parce que je crois que Votre Majesté conserve dans sa bienveillante mémoire la pensée de notre patrie si éloignée et de ses habitants simples. Nous, Norvégiens, nous nous berçons dans l'espoir que sa Majesté le Roi des Français est ami de notre Patrie; je le fais parce que j'espère que Votre Majesté reverra avec intérêt en peinture imparfaite quelques endroits où vous passiez un temps de votre jeunesse et parce que je suis assez heureux de posséder différentes vues de ces endroits; peintures faites avec mon propre pinceau et que je supplie Votre Majesté de vouloir bien me permettre de vous les montrer.
Il faut croire que Louis-Philippe avait un très bon souvenir de la Norvège, où il avait effectivement voyagé incognito (jusqu'au Cap Nord) en 1795, puisqu'il accepta de rencontrer Peder Balke. Peder Balke, qui ne maîtrisait pas le français, s'entretint avec le roi pendant plusieurs heures, en partie en norvégien, en partie en allemand.
Le roi fut séduit par ces souvenirs datant de plus de 50 ans. Il se souvenait d’un peu du norvégien qu’il avait appris à l’époque, se piqua de le parler, quoique bien maladroitement et lui acheta deux peintures dont la « Vue du cap Nord », le 30 avril 1847.
Le peintre, qui les avait ébauchées au préalable pour les montrer au roi, les compléta sur place. Louis Philippe, suivit de près l’achèvement de la « Vue du cap Nord », au point de demander à Balke d’ajouter aux quatre figures déjà mises en place (lui-même, un pasteur, son aide de camp, un palefrenier) l’interprète qu’il avait à son service lors de cette équipée.
S’ensuivit l’achat des esquisses le 15 mai 1847. A l’évidence, Blake espérait que le roi lui commanderait d’autres tableaux d’après ces esquisses, mais c’est alors que survint la Révolution de 1848 et l’irruption de la Seconde République. Louis-Philippe abdiqua, s’enfuit en Angleterre et… les esquisses demeurèrent dans un placard du Louvre. elles ne furent jamais exposées jusqu’en l’an 2001 !
Elles sont désormais exposées dans la salle D du département de la peinture nordique au même 2e étage du pavillon Richelieu.
FOUCART-WALTER, Elisabeth. Peder Balke et Louis-Philippe – une étonnante acquisition du Roi des Français dans « Un peintre norvégien au Louvre ». Oslo : Novus Press, 2006.