7 avril ("Vendredi saint"); Le Christ souffrant dans la poésie de Jean-Pierre Lemaire
À vingt-quatre ans, à la suite d'une crise spirituelle, Jean-Pierre Lemaire "prend définitivement conscience de sa foi " et commence à écrire ses premiers vrais poèmes, qu'il publie chez Gallimard en 1980. L'écriture de Jean-Pierre Lemaire, d'inspiration chrétienne, a été saluée par Jean Grosjean et Philippe Jaccottet qui a écrit : « J'entends là une voix... accordée au monde simple, proche et difficile dont elle parle et qu'elle essaie calmement, patiemment de rendre encore une fois un peu plus poreux à la lumière... ». Dès lors, la plupart de ses recueils ont paru chez Gallimard (1). Il a reçu en 1999 le Grand Prix de poésie de l'Académie française.
Lui-même a dit : "Je suis un écrivain croyant et c'est ma foi dans le Fils fait homme qui me rend plus attentif à notre monde, aux visages et aux paysages au milieu desquels il a voulu vivre. Si ce monde est devenu à un moment pour moi la "chair" du poème, c'est parce que le Verbe a assumé cette chair, comme les mots du poème tentent de le faire à leur tour. Mais j'essaie dans mes poèmes de parler à tout homme, pas seulement aux croyants... "
Dans son œuvre, Jean-Pierre Lemaire nous fait deviner le Christ aux effets de sa présence, au regard nouveau que, grâce à lui on porte sur la situation. Comme dans ce poème intitulé "Miséricorde" :
Quand il t’est donné de voir cette vie non plus seulement sous le ciel mais comme à travers lui (tu devines alors l’existence d’un second ciel en transparence et même parfois d’un troisième) tu peux supporter le cri du peuplier les yeux des offensés et ta propre histoire comme si la mémoire à cette profondeur prenait la couleur de la miséricorde de même que l’air devient bleu… (2)
Ou bien on observe le Christ à travers le regard de ceux qui ont été les témoins de sa vie: et de sa mort :
Pilate,
La foule hurlait
de plus en plus fort
Le songe de sa femme
l'occupait encore
comme un grain tombé
au milieu des épines
un grain de silence
qui ne lèverait pas
Pierre,
Pierre s'est lavé les mains à la chaleur
Tel fut notre procès parmi les serviteurs
tandis que les murs écoutaient ton silence
Les cendres dans la cour se sont cicatrisées
Regarde-nous, Seigneur, quand tu sortiras.
Simon de Cyrène :
...Arrivé en haut, j'ai pu repartir.
On lui réservait la dernière étape
à faire immobile, cloué sur le bois.
Je me suis redressé pour le voir en face,
lui confier le fardeau dont j'étais soulagé.
Il l'a reçu, tenu à bout de bras.
Joseph d'Arimathie,
Ce tombeau était presque trop blanc pour lui
trop nouveau pour sa propre mort
Peut-être sans le savoir
l'avait-il préparé pour un autre
celui-là même
qu'on venait de dépendre
sur la colline à la fin de la journée ?
Ainsi, dit-il
le mort lui aussi sera vraiment neuf
A Jésus en agonie sur la croix, le poète fait dire :
Desserre les dents
pour la cuillère et le médicament
desserre le poing pour le clou du bourreau.
desserre ton cœur pour l'injure et la lance.
Nous guérirons tous.
Jésus meurt seul .Ses disciples ont fuient :
Les premiers coups commencent à pleuvoir
et tes disciples sont partis s'abriter.
Mais un lueur d'espoir jaillit dans la description du jeune homme qui s'est enfuit tout nu:
...il s'est enfui
tout nu
Il était là, peut-être
le vrai début ?
Effectivement, c'est à des disciples qui auront atteint le fond de la désillusion sur eux-mêmes, que Jésus ressuscité va apparaître le jour de Pâques en leur annonçant cette bonne Nouvelle :
"La paix soit avec vous".
- Dernier recueil : Le pays derrière les larmes (Poèmes choisis), Gallimard, collection « Poésie », 2016
- Les marges du jour, "Miséricorde"