Ce jour-là, Érasme publie un petit livre de piété à la portée de tous, un de ses ouvrages les plus célèbres et les plus gros d'influence.
C’est à Tournehem qu’il commence à écrire « l’Enchiridion militis christiani » (Le manuel du soldat chrétien), qu’il va surtout écrire à Saint-Omer.
L’idée lui vient par hasard. Dans cette ville habitaient les époux de Veere. Le couple est formé d’un joyeux drille, coureur de jupons, et d’une femme d’une rare piété, Anne Borsselen de Veere, qui insiste auprès d’Érasme pour qu’il mette par écrit quelques conseils capable d’aider son mari à se convertir.
A cause du tempérament violent de l’époux, sa femme aurait suggéré à Erasme d’écrire ses conseils de manière à ce que l’homme ne soupçonne pas l’intervention de son épouse…
« J’obéis et notai les choses qui semblaient convenir à la circonstance.. »
L'Enchiridion, publié pour la première fois le 15 février 1503, fut un des ouvrages les plus célèbres et les plus gros d'influence d'Érasme. Certains ont été jusqu’à affirmer que si Érasme n'avait pas écrit l’Enchiridion, Luther n'aurait probablement jamais écrit ses quatre-vingt-quinze thèses.
Il est vrai qu'Érasme, le premier, osait déplacer l'idéal de vie spirituelle des monastères dans la vie quotidienne ; il critique les moines de toute obédience, et des pratiques superstitieuses de la piété qu’il qualifie de judaïques…
Faudrait-il pour autant souscrire à la boutade selon laquelle « Érasme a pondu les oeufs que Luther a couvés » ? Certes, l’Enchiridion annonçait des idées luthériennes en tentant de définir une théologie nouvelle, fondée ayant tout sur l'Écriture et singulièrement sur saint Paul. Mais Érasme retient la « tradition ecclésiastique », la Bible éclairée par les Pères et l'Église, alors que Luther s'en tient à la Bible seule..
Enfin Érasme, le prince des humanistes, conçoit l'antiquité gréco-romaine comme une pré-révélation chrétienne, et il ne saurait dissocier sagesse païenne (ou humaine) et sagesse chrétienne, ce qui un jour paraîtra à Luther la dernière des abominations.
Le côté positif de l’ouvrage ne manque pas non plus d’intérêt ni d’originalité.
-Le premier chapitre est consacré à la vigilance : la première chose que l’on demande à un soldat même inexpérimenté est de monter la garde, après lui avoir indiqué d’où peu venir l’ennemi : du diable et de notre propre nature pécheresse.
-Le second chapitre en vient aux armes : la prière et la connaissance des écritures. Qu’’il faut lire avec de bons interprètes : Paul, Origène, Ambroise, Jérôme, Augustin.
-Ensuite il analyse la cause de cet incessant combat : la nature pécheresse d’homme.
-Ensuite il montre comment se battre contre les principaux vices : éviter le mal, ne jamais se décourager, la prière, ne pas s’enorgueillir dans la victoire, pratiquer la vertu contraire au vice combattu… n’appeler aucun péché « véniel ».
Il pose la question : « Quels sont les motifs qui vont nous pousser à nous battre ? »
Et il répond :
-La vue de ce qu’à coûter au Christ notre Rédemption ne peut que nous pousser à haïr le péché ;
-Notre dignité d’enfant de Dieu, l’excellence de Dieu ;
-La pensée du ciel et de l’enfer ;
-La pensée à la fois de la certitude et de l’incertitude de la mort ;
-Le risque de l’endurcissement final.
Ce petit livre met la piété à la portée de tous. Son paulinisme massif et fervent ne peut laisser indifférent. Il a été traduit par Louis de Berquin, ce qui a conduit ce dernier au bûcher !