Parler du corps plutôt que de la chair pour évoquer la résurrection rend les choses plus compréhensibles, mais cela n’enlève pas toutes les difficultés. En effet, quel sens faut-il donner à l'idée selon laquelle notre corps reviendrait de la mort à la vie? Ne sait-on pas que, sauf dans des circonstances très exceptionnelles, la dépouille mortelle se décompose de façon irréversible dans la tombe? Après quelques années, rien ne reste de l'enveloppe charnelle de l'être humain.
Au-delà de l'immortalité de l'âme
Pratiquement toutes les civilisations ont cru que quelque chose de l'homme survivait après la mort. Vénération des esprits des défunts, réincarnation, la Divine Comédie de Dante… les représentations de l'Au-delà sont fort diverses dans l’histoire. Le doute de l'homme moderne sur une existence après la mort constitue une exception quand on regarde l'ensemble de l'humanité. On lui trouvera seulement quelques antécédents, par exemple les épicuriens de l'Antiquité.
La Bible qui nourrit l'espérance des juifs et des chrétiens va au-delà de l'accord quasi-universel quant à la survie d'une partie seulement de l'homme. Dans la Bible, Dieu promet un renouvellement de toute la personne à la fin des temps renouvellement qui concerne aussi sa dimension matérielle. Croire en la résurrection du corps, c’est affirmer que l'homme dans toutes les facettes de son être aura un avenir restauré. Son avenir ne concerne donc pas seulement son âme ou son esprit.
En fait, si le Credo mentionne précisément la résurrection du corps, c’est sans doute parce que c’est l'aspect le plus surprenant de l'espérance chrétienne face à la mort.
L'immortalité de l'âme est admise par beaucoup même si c’est sous des formes différentes. Par contre, affirmer que le corps participera lui aussi à l'aboutissement du salut à la fin de l'histoire est un aspect très spécifique apporté par la Bible.
Dieu – Créateur du corps
Cette perspective unique est liée à la doctrine de la création. Selon la Bible, Dieu est à l'origine de tout ce qui existe, y inclus la matière. La religion ne peut donc pas se contenter de nourrir une spiritualité intérieure; elle concerne tous les aspects de notre existence. Le salut de l'âme ne saurait donc suffire: comme Dieu est aussi le créateur du corps, il promet de l'inclure dans son œuvre de restauration à la fin des temps.
Cette perspective ouvre un avenir éternel pour le corps. Elle s'oppose par là même à toute dépréciation de la dimension charnelle de la vie humaine. Hélas, le christianisme a pu nourrir des mouvements ascétiques qui pensaient que les souffrances infligées au corps pourraient nous rapprocher de Dieu. Pendant une longue période de l'histoire, il a aussi oublié que la sexualité est un don précieux de Dieu, destiné à nourrir de façon heureuse la cohésion du couple marié.
Par contre, dès que l'on prend au sérieux le fait que Dieu a créé notre corps et qu’il promet de le ressusciter, on se rend compte qu’il s'agit là d'égarements qui s’opposent aux convictions fondamentales inspirées par la Bible.
Pour être juste, il faut d’ailleurs aussi mentionner les nombreuses réalisations que le christianisme a inspirées dans l’histoire. Loin de se satisfaire de prêcher le salut de l'âme, les chrétiens à travers les âges se sont engagés pour la personne humaine dans toutes ses dimensions. Hôpital(1), université, Croix Rouge… quasiment toutes les institutions sociales de nos sociétés modernes ont été inventées par des chrétiens engagés. La foi à la résurrection du corps contient en elle cet espoir que tous nos combats contre le mal destructeur trouveront un jour leur aboutissement final dans la victoire de Dieu sur la mort.
Une espérance incroyable ?
Tout cela est bien beau me direz-vous. Mais, est-ce pensable que notre corps reprendra vie? Comment serait-ce possible vu qu'il n'existera tout simplement plus rien de nous, quelques décennies après notre mort ?
Évidemment l'espérance biblique ne nous contraint pas d’adopter la conception naïve selon laquelle les atomes qui constituent actuellement notre corps se rassembleront miraculeusement à la fin de l'histoire pour le reconstituer. D’ailleurs, que ferait-on des atomes qui ont appartenu à deux corps humains différents? L’apôtre Paul utilise l’image de la semence pour exprimer le lien entre notre corps présent et celui qui est à venir. Il taxe d’«insensés» ceux qui imaginent une simple identité entre les deux(2).
Déjà aujourd’hui, la matière ne garantit pas l'identité de notre corps. Sans cesse, il assimile de nouvelles molécules et en rejette d'autres. Grâce à ce que nous mangeons, nos cellules elles-mêmes se renouvellent constamment. Notre corps change aussi de l'enfance à l'âge adulte et jusqu'à la vieillesse. Si on voulait trouver un élément corporel qui reste constant pendant toute notre vie pour qu’on puisse parler du «même» corps, on pourrait peut-être indiquer l'ADN. Certains ont ainsi proposé de se représenter la résurrection comme cet acte de Dieu qui susciterait à la fin des temps une nouvelle forme d'expression de l'information contenue dans le code génétique de chaque individu.
Restons prudents: cette image moderne de la résurrection ne vaut sans doute guère plus que les représentations du Moyen-âge. Nous sommes en face d'une réalité qui dépassera toujours notre entendement. Elle a néanmoins un mérite: elle montre que la résurrection de la chair n'est pas une idée absurde. En effet, il existe des façons de la penser qui sont compatibles avec ce que nous savons par ailleurs sur l'homme.
L’essentiel n’est pourtant pas là. En effet, pour la Bible, c’est le Christ qui est le fondement de toute espérance. Elle déclare qu’il est «le premier qui s'est déjà réveillé de la mort. Ensuite, ceux qui sont au Christ se réveilleront quand il viendra(3)». Les chrétiens ne croient donc pas à la résurrection de la chair parce qu’ils auraient un modèle scientifique qui la rend plausible. Comment d’ailleurs attendre de la science, qui décrit le fonctionnement du monde actuel, de rendre compte de l’intervention miraculeuse de Dieu à la fin de l’histoire? Le tombeau vide du Christ le matin de Pâques, voici le fondement de l'espérance chrétienne! Espérance qui nous engage, dès à présent, à la suite de Celui qui nous a ouvert le chemin de la vie.